23
Jan
2015

En Belgique, 1.500 personnes seraient victimes de la traite des être humains. Décryptage.

En Belgique, 1.500 personnes seraient victimes de la traite des être humains. Décryptage.

23 Jan
2015

1.500 esclaves modernes en Belgique ? “En réalité, il y en a beaucoup plus”

Le terme “esclavage” renvoie à des pratiques que l’on pensait révolues. Mais selon une enquête menée par la fondation WalkFree, la Belgique compterait 1.500 victimes d’esclavage moderne. Pour les spécialistes, les cas belges relèveraient davantage de traite humaine que d’esclavage.

Esclavage moderne et traite des êtres humains, quelles nuances ?

Selon Patrick Charlier, vice-président du Centre fédéral de la migration, l’esclavage moderne renvoie à un état de soumission. « Cela concerne, par-exemple, le secteur des domestiques. Dans ce cas, les personnes sont accueillies dans des familles où elles sont éventuellement logées et nourries. Elles sont censées gagner de l’argent, mais ne gagnent rien et n’arrivent pas ou ne peuvent pas sortir de cette situation. Leurs papiers d’identité sont saisis, elles travaillent à des heures infernales de 5 à 23 heures, n’ont pas de temps de repos, de congé et ne peuvent jamais prendre de vacances. À cela s’ajoutent les mauvais traitements, les coups et blessures, les injures, le mépris… »

Si la traite et l’exploitation sexuelle (prostitution, mariage forcé) ont souvent été pointées du doigt, l’exploitation économique (travail forcé, mendicité organisée) prend de plus en plus d’ampleur. « Nous pouvons déceler aujourd’hui, différents types de traite, comme par exemple la mendicité organisée, ou la criminalité forcée : la victime se retrouve alors contrainte de commettre des crimes et des délits » , déclare Patrick Charlier. « Autres pratiques méconnues : les pressions psychologiques basées sur certaines croyances ou les Lover Boys, hommes qui tentent d’aguicher des femmes afin de les rendre amoureuses, et de les convaincre de se prostituer.»

“Les victimes de traite ne se manifestent pas toujours”

« Le chiffre estimatif de 1500 victimes est basé sur des données de 2013 récoltées par Monti Narayan Datta, professeur à l’Université de Richmond et spécialiste en droits humains et en esclavagisme moderne et par Kevin Bales, co-fondateur et président de l’organisation Free the Slaves. De plus, ces informations ont été comparées à des sources complémentaires », explique Laura McManus, chercheuse de WalkFree.

Pour Sarah De Hovre, directrice du centre Pag-Asa, spécialisé en victimes de la traite des êtres humains à Bruxelles, le chiffre de 1500 n’a rien d’étonnant. « Ensemble, Pag-Asa et ses deux homologues belges accueillent en moyenne 150 à 200 nouvelles victimes par an. En réalité, il y en a beaucoup plus. Mais il est très difficile d’obtenir des informations sur le nombre exact de victimes de traite car ces dernières ne se manifestent pas toujours et les circuits criminels dans lesquels elles se trouvent impliquées fonctionnent sous forme de réseaux cachés. »

Une loi qui reconnaît le statut des victimes

La Belgique a longtemps été un état précurseur en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Depuis 1995, la loi belge reconnaît officiellement le statut de victime de la traite et

en 2005, une nouvelle loi a été adoptée par l’Etat belge. Officiellement reconnue par le code pénal, la traite des êtres humains est alors définie comme «le fait de recruter, de transporter, de transférer, d’héberger, d’accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle exercé sur elle dans un but d’exploitation.» Cette nouvelle disposition punit non seulement la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle mais aussi celle à d’autres fins telles que l’exploitation du travail et le trafic d’organes. A partir de 2005, tant les Belges que les étrangers peuvent être considérés comme victimes : dorénavant, la traite des êtres humains ‘interne’ au pays est punissable au même titre que la traite transfrontalière.

Alex : ancienne victime de l’exploitation du travail

En Belgique, certains cas comme celui d’Alex, ancien sans-papiers, ne sont jamais signalés. Alex a traversé de rudes épreuves pour obtenir ses papiers et sortir de l’illégalité. Oui, mais à quel prix ?

« Comme les exploitants savent qu’on a pas de papiers, ils nous disent qu’ils nous payeront à la fin de notre travail. Mais une fois que t’as fini, oublie ton argent ! Ils ne te payeront jamais.  Ce ne sont pas les Belges qui nous font subir ça, ce sont les immigrants qui ont été, eux-mêmes, dans notre situation. C’est honteux ! »

Cette exploitation est acceptée et subie pour l’obtention d’une meilleure vie. « On ne paye pas de cotisations mais on voudrait déclarer notre travail. Et bon, chaque fois on reçoit la même réponse : “Ici on ne peut rien faire pour vous, mais faites attention, ne vous faites pas attraper !” »

« Typique du monde capitaliste »

Alex vient d’Equateur et est arrivé en Belgique presque « par hasard ». Il n’avait jamais entendu parler de ce petit pays et après des allers et retours à travers l’Europe, c’est sur le territoire belge qu’il s’installe, sans papiers, en 1998. Il enchaîne les boulots, certains plus difficiles que d’autres, avant de faire une rencontre qui l’aidera à monter sa petite entreprise de construction. Il obtient une carte de séjour d’une durée de cinq ans en 2009, mais reste révolté contre la société belge et les organismes qui ont tenté de les aider, lui et les autres sans-papiers.  « Ce système est typique du monde capitaliste et créé des couches sociales. On utilise les immigrés pour dire aux gens  “Écoutez, il y a des gens qui travaillent pour une misère et vous voulez qu’on vous augmente ?” ou “Faites attention de ne pas finir comme ces gens-là”.»

Alex a organisé de nombreux actes politiques tels que des manifestations pour montrer au grand jour la situation des sans-papiers qui est la sienne, en prenant de gros risques. Le sourire au coin des lèvres, il pose un regard las sur son ancienne situation.  « J’ai essayé d’oublier la Belgique et tous ces mauvais souvenirs. Maintenant je ne retiens que les choses positives, celles que j’ai apprises et que je vais rapporter dans mon pays. »

En effet, en mars 2015, le permis de séjour d’Alex expire. Et si lui est heureux de retourner dans son pays natal, d’autres dans la même situation voient cette échéance comme la fin de tant d’efforts devenus vains. Toutes ces années de travail et d’exploitation pour un meilleur avenir qui, en fait, n’arrivera jamais.

La situation d’Alex n’est pas singulière, explique la directrice de l’association Pag-Asa, Sarah De Hovre : « Même s’ils sont ici de façon légale, ils perdent souvent leurs papiers ou se les font confisquer. Ils deviennent alors des proies faciles », explique Sarah De Hovre, insistant sur la difficulté qu’ont les victimes d’esclavagisme moderne à s’en sortir, légalement ou psychologiquement.

PAG-ASA, l’Espoir bruxellois

Pag-Asa signifie « Espoir » en Philippin. L’association travaille avec les forces de police, l’inspection du travail et les services sociaux qui leurs envoient les dossiers des victimes potentielles.

« La plupart viennent d’Albanie, de Roumanie, de Bulgarie, de Chine, du Nigéria ou d’Afrique du Nord », précise Sarah De Hovre. L’exploitation par le travail touche beaucoup d’hommes. La plupart des jeunes femmes sont victimes d’exploitation sexuelle et de prostitution forcée.

A la recherche d’un avenir meilleur

Si les centres spécialisés comme Pag-Asa, Payo ou Sürya ont été reconnus en 2013 par un arrêté Royal, leur financement n’est pas garanti pour autant. “Le temps passé par les centres à courir après leur argent est du temps perdu pour s’occuper des victimes de la traite », regrette Patrick Charlier. Pour Sarah De Hovre, le problème est ailleurs. « Toutes ces personnes venues de l’étranger pour travailler en Belgique ne quittent pas leur pays et leur famille par choix, mais par nécessité. L’absence d’opportunités dans leur propre pays les contraint à aller chercher un avenir meilleur ailleurs. Avant de résoudre la situation en Belgique, nous ferions mieux d’investir dans le développement de ces pays. C’est là que se trouve la source du problème».

 

Pour aller plus loin

« 10 min. », un film de Jorge Leòn, une production du Centre interfédéral pour l’égalité des chances, PAG-ASA, Payoke et Sürya, réalisé à l’occasion de la journée européenne contre la traite des êtres humains.« Une déclaration qui narre comment une jeune fille est tombée dans le cercle de la prostitution. »

 

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