En pensant à la manifestation des militaires par rapport à l’augmentation de l’âge de la pension, entre autres, je me suis demandé ce que mes contemporains de l’armée en pensent. J’en parle alors avec Gilles, un jeune sous-officier, qui me dit qu’il n’ira pas manifester. Il ne se rend pas vraiment compte, c’est un peu trop loin pour lui, et il ne se sent pas vraiment engagé. Même s’il trouve que le gouvernement a exagéré, il ne manifestera pas parce que, pour lui, les politiques ne changeront pas d’avis. Défaitiste ou réaliste, libre à chacun d’interpréter. Mais je me demande alors si c’est dû à sa personnalité, ou bien si c’est un sentiment global chez les jeunes militaires. Je décide donc de me rendre à la manifestation pour voir de mes propres yeux le taux de participation de personnes de moins de 30 ans.
Je descends de la place Royale vers la place de l’Albertine avec la première vague. Là, je m’étonne qu’il n’y ait même pas 10% de jeunes manifestants. Je rencontre alors deux filles, des civiles, mais qui sont présentes par solidarité avec les militaires. Elles me disent qu’elles sont là pour manifester contre la situation à propos de la pension et du salaire. Quand je leur demande où sont tous les autres jeunes, elles me disent qu’ils sont derrière. Je décide de prendre la manifestation en sens inverse et de retourner place Royale. Mais, après un long moment, je vois le bout de la manifestation arriver, et pas beaucoup plus de jeunes. En parlant autour de moi, je comprends qu’une bonne partie est en formation ou bien en mission.
Cible atteinte
Après plusieurs refus de témoigner de quelques jeunes présents, j’arrive à parler avec un militaire, Kévin. Il a 26 ans et est “fusilleur éclaireur voltigeur tireur missile ATK spike” (j’avoue qu’il a dû me le répéter deux fois) à la caserne de Marche-en-Famenne. Il est venu en bus avec une vingtaine d’autres de sa génération. Pour lui, les jeunes sont et se sentent concernés. Quand ils entrent dans l’armée, on leur fait signer un contrat. Et après on le change sans leur demander leur avis. Dans ce contrat, il était indiqué qu’ils s’engagent à travailler jusqu’à 56 ans, et puis ça change à 63.
Kévin nous dit que s’ils perdent les avantages de la pension tôt et qu’ils n’ont pas le salaire qui suit, alors ce mode de vie perd son côté attractif. Pour l’instant, ils reçoivent 1800€ dès qu’ils commencent à travailler, sans avoir de diplôme. Ce constat me rappelle ce que Gilles me disait plus tôt. Pour lui, on n’entre pas dans l’armée pour finir au front, personne n’y va par idéalisme. On s’y engage plutôt pour s’assurer une situation stable professionnellement. Donc les personnes qui manifestent ne le font pas d’un point de vue idéologique, mais parce qu’elles ne veulent pas travailler plus. Il voit de moins en moins de personnes motivées, il parle de 25% seulement. Donc si les avantages sont supprimés, on peut se demander ce qui motivera les générations suivantes à rentrer dans l’armée.
Des militaires qui se sentent exploités
En plus de la pension et du salaire, les militaires se sentent aussi surexploités depuis les attentats. Ils n’ont pas vraiment le temps de se poser, ils ont deux semaines de garde suivies de deux semaines d’entraînement, et ils n’ont pas de temps de repos, car ils travaillent souvent le week-end également. Il est donc difficile d’avoir une vie de famille.
Il y a un paradoxe qui est revenu plusieurs fois quand je parlais avec les militaires : le gouvernement veut rajeunir l’armée, mais prend des mesures qui ne vont pas dans ce sens. L’Etat profite du fait que les militaires ont moins à dire, selon Gilles. « Il y a un réel manque de communication, ainsi qu’un manque de respect et une attaque à la démocratie », commente un militaire un peu plus âgé.
Kévin espère qu’il y aura d’autres manifestations, s’il n’y a aucun changement. Peut-être qu’on y verra plus de jeunes, qu’ils commenceront à se sentir plus investis ou bien qu’ils seront de retour de leurs formations ou missions.