Lorsque l’on aperçoit Ali Taptik dans la grande salle du Bozar, au moment du vernissage de l’exposition Imagine Istanbul auquel il participe, c’est un jeune homme assez timide et modeste à qui l’on a affaire. Très touché de l’intérêt que l’on porte à son travail, il s’est tout de suite montré disponible pour une interview mais a refusé d’être pris en photo, visiblement gêné par la situation.
Rendez-vous était donc pris, quelques jours plus tard, par vidéoconférence. Nous prenons un café interposé, à plusieurs milliers de kilomètres l’un de l’autre et nous commençons à discuter, de manière plus détendue et naturelle que la première fois. Il faut dire que la situation était particulière, le festival Europalia met en lumière la Turquie cette année, mais les tragiques événements qui ont eu lieu à Ankara ont quelque peu obscurci cette exposition. Alors, lorsque l’on demande au stambouliote s’il est heureux de faire partie de ce festival, il est mitigé. Content d’avoir participé à tout cela, mais partagé à l’idée de célébrer son pays alors qu’il se trouve dans la tourmente.
No comment
Quand on regarde la sélection de ses photographies pour « Imagine Istanbul », on ne peut s’empêcher de se questionner. Tour à tour, ce sont des photos intimes, des rues, des paysages ou des faits de société, le tout sans légende. Ali Taptik est-il un photographe poétique ou un photojournaliste ? Est-il un architecte qui documente ou le témoin de sa génération ? Il est tout cela à la fois.
Dans la sélection faite pour le Bozar, le photographe a choisi plusieurs séries, parmi lesquelles Kaza ve Kader, Nothing surprising ou Familiar strangers. Dans Nothing surprising, le sujet de la crise financière est abordé. Dans Familiar strangers, c’est l’évolution d’Istanbul et de sa société qui est questionnée, de manière poétique.
Photographe-architecte
Ali Taptik avoue ne pas se reconnaître dans une catégorie bien précise. Si ses études d’architecture lui ont permis d’appréhender les rues de sa ville de manière plus profonde et analytique, il se laisse guider par ses sensibilités. Il essaye autant que possible de garder la politique à distance de son travail et de sa vision du monde. Évidemment, le photographe se considère comme une personne engagée, mais il ne veut pas que son travail soit considéré comme du photojournalisme.
Le processus de création d’Ali Taptik montre bien qu’il livre une vision très personnelle de chaque sujet. C’est tout d’abord en parcourant les rues de sa ville qu’il puise son inspiration. Ensuite, il va choisir un mot, un concept et s’intéressera à la manière dont il va pouvoir l’aborder. Il souhaite comprendre ces mots à travers la photographie. Il réalisera plusieurs clichés, pendant plusieurs mois, voire une année complète, puis il consacrera une exposition au sujet. C’est ainsi que le photographe pourra confronter ses images à son public.
Ses proches pour inspiration
Est-ce qu’Istanbul est le centre de son travail ? La ville turque est présente dans chacune de ses photographies, mais Ali Taptik dit d’Istanbul que ce n’est pas son sujet, mais sa ville tout simplement. On reconnaît ainsi toute la dimension personnelle qu’attache le jeune photographe dans ses séries. Lorsqu’on lui demande quelles sont ses inspirations, il n’hésite pas une seule seconde et répond ses amis, les personnes avec qui il vit. Il a gardé un cercle d’amis depuis qu’il a commencé la photographie au lycée. Il aime les photographier et s’inspirer du quotidien. Pour lui, la proximité est quelque chose d’essentiel, et les personnes avec qui il a grandit sont sa plus grande source d’inspiration.
Très attaché à ses racines et à ses proches, la photographie d’Ali se veut personnelle, intime même. A la manière d’un Boris Mikhailov qui immortalise son Ukraine natale. Ali Taptik se sent d’une certaine manière proche d’un tel travail et multiplie, comme le photographe ukrainien, les points de vue.
Étoile montante
Ali Taptik, à seulement 32 ans a déjà exposé ses photographies en Europe, au Moyen-Orient ainsi qu’aux Etats-Unis. Pourtant, ce qui l’intéresse avant tout est de voir la réaction, face à son travail, de ses compatriotes qui, comme lui, sont témoins des changements de la société turque.
Exposé aux côtés du célèbre photographe Ara Güler, que l’on surnomme « l’œil d’Istanbul », Ali Taptik est décrit comme une étoile montante par le commissaire de l’exposition Imagine Istanbul. Cependant il reste modeste et se dit honoré d’une telle qualification.
Le photographe travaille ainsi sur son nouveau projet, Surface phenomenon qui après maturité, fera l’objet d’un livre. Quelques clichés de cette nouvelle série sont déjà exposés à l’exposition Imagine Istanbul, au Bozar de Bruxelles, jusqu’au 24 janvier prochain.