Imaginez-vous dans une cellule de moins de 10 m². Chaque matin, le cliquetis des clés des surveillants pénitentiaires vous réveille. Le temps s’écoule lentement, tellement lentement qu’il semble s’étirer plus que de raison. Vous lisez, vous pensez, vous faites le tour d’une petite cour en compagnie de personnes que vous n’avez pas envie de côtoyer, vous faites le tour de votre âme jusqu’à en avoir le tournis. Vous êtes seul(e) avec vos pensées. Vous subissez certaines humiliations des agents pénitentiaires sans broncher.
“Un tas de chair dans une cellule”
Vous n’êtes plus qu’un “tas de chair dans une cellule”, comme l’explique douloureusement aux Ateliers de Couthures Gabriel Mouesca, surnommé “Gabi”. Ce Basque au regard si fier, ancien prisonnier et ancien président de l’Observatoire international des prisons, s’exprime posément : “Quand vous entrez en prison, vous n’avez plus aucun poids, plus aucune prise sur votre destin.” Vous n’avez plus aucune autonomie puisque tout est fait, pensé, quadrillé, agencé pour vous.
En France, des douches individuelles ont été installées dans chaque cellule, au grand dam de Gabi Mouesca : “Au nom d’un pseudo progrès, on éloigne le détenu d’une dynamique de sociabilité. Le mal qui ronge aujourd’hui les prisons modernes est le fait qu’il y a de moins en moins de contacts humains, les gens se referment sur soi.” Comment dès lors envisager sérieusement une réinsertion dans la société ?
Une île-prison à ciel ouvert
Imaginez-vous maintenant sur une petite île. Il n’y a pas de barrières, de barreaux, de miradors, de portes fermées à clé. Les surveillants ne sont pas armés, et pourtant, aucun incident grave n’est à déplorer. Aucune tenue ne différencie qui que ce soit. Vous cultivez vous-mêmes vos légumes. Vous prenez soin d’animaux. Vous êtes un prisonnier sur l’île de Bastøy, en Norvège.
Arne Kvernvik Nilsen, son ancien directeur, estime que la seule punition envisageable devrait être de perdre sa liberté, mais pas sa dignité. Son idée d’une île-prison est bâtie sur un simple fait, celui d’être responsable de sa propre vie : “Si vous traitez les humains comme des animaux, ils agiront comme des animaux. Mais si vous les traitez comme des humains, il y a une possibilité qu’ils deviennent plus forts, meilleurs.”
Gandhi disait qu’appliquer le vieil adage d’œil pour œil rendait le monde aveugle. Il est aujourd’hui grand temps d’ouvrir les yeux sur la réalité carcérale dans nos pays modernes et de se poser une simple question : si vous étiez emprisonné, quel dispositif vous permettrait de garder votre dignité, tout en vous permettant une réinsertion sûre, pour vous et pour les autres, dans la société ?
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