Beata Umubyeyi-Mairesse est née au Rwanda. Issue d’une famille tutsie, l’auteure d’Ejo a quitté son pays natal en 1994. La guerre civile divise le pays. Le génocide des Tutsis fera 800 000 morts et de nombreux réfugiés, pour la plupart au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), au Burundi et en Ouganda.
“Les gens ne perçoivent pas les frontières tant qu’ils n’y sont pas confrontés”
La jeune femme raconte son expérience. Au détour d’une anecdote, la subjectivité du concept de frontière prend tout son sens. Elle se souvient d’une histoire qui se racontait petite, celle de la grand-mère qui aurait un jour demandé : “Mais il est où le Rwanda du Congo ?” Pour cette génération-là, explique Beata, “le monde, c’était le Rwanda. Au-delà, il y avait le Rwanda du Congo, le Rwanda du Burundi, etc.”
À cette époque, les frontières sont perméables. Elles ont un caractère abstrait. Dessinées par les puissances coloniales, dont la Belgique, comme le rappelle Jean-Philippe Stassen, auteur liégeois de bande dessinée, elles ne représentent pas grand chose pour les populations locales. “Entre le Congo et le Rwanda, la frontière consistait en une simple barrière. Comme une barrière de chemin de fer qui faisait “krrr krrr” en montant et “krrr krrr” en descendant”, se rappelle l’auteur. Pour lui, elle reste néanmoins un symbole : “En quittant le Rwanda, les gens arrivant en masse, laissaient leurs armes et machettes à ce poste-frontière, alors que c’était une simple barrière, plantée là.”
“Les enfants jouaient à compter les maisons en feu sur les collines, c’était des maisons de Tutsis”
Dans les années 1980, le conflit s’accentue, en même temps que la répression contre les Tutsis. Beata se souvient d’un ami de la famille venu les voir d’un pays voisin : “Il ne fallait pas que l’on sache que des Tutsis de l’étranger venaient nous rendre visite. Il avait marché des heures pour arriver jusqu’à chez nous, il est reparti dès le lendemain.”
Deux mois après le début du génocide, Beata parvient à fuir le pays. Elle obtient une fausse attestation disant qu’elle est Française. Elle se glisse dans un convoi humanitaire, accompagné par des journalistes de la BBC, ce qui leur sauvera la vie.
“Les miliciens étaient ivres de sang et de bière”
Au poste-frontière, un milicien refuse de croire à son identité française. Beata, alors âgée de 15 ans, lui tient tête : “J’ai dit que mon père était Français et que ce serait une honte pour le Rwanda s’il arrivait quelque chose à des ressortissants français, puisque les deux pays entretenaient de bonnes relations.” Mais cela ne suffit pas à calmer la rage des militaires. “L’un d’eux, poursuit Beata, a voulu tirer sur nous mais un officier lui a fait un signe. Pas de ça devant les caméras.” Et la jeune femme d’ajouter : “Parfois, les journalistes ne servent à rien, mais là, ils nous ont sauvé la vie.”
“Le monde a eu les yeux grands fermés sur le génocide”
Les médias occidentaux ont largement couvert la crise des réfugiés qui s’est déroulée dans les pays voisins une fois le génocide arrêté, mais bien peu avaient couvert comme l’équipe de la BBC le déroulement du génocide.
Beata a pu rejoindre la France et obtenir des papiers après un long chemin administratif, mais surtout un voyage éprouvant et dangereux qu’entament des millions d’êtres humains pour fuir les guerres, conflits et catastrophes humanitaires qui ravagent leur pays.
[…] Beata Umubyeyi-Mairesse : « Le monde a eu les yeux grands fermés sur le génocide au Rwa… TÉMOIGNAGE. À 15 ans, en plein conflit armé au Rwanda, , issue d’une famille tustie, sauve la vie de sa mère et la sienne dans un coup de bluff audacieux. […]