Michel, c’est mon oncle, haut en couleurs, un spectacle à lui tout seul. Il naît au Congo belge en 1942 et quitte la République démocratique vingt ans plus tard. Ni tout à fait Congolais, ni tout à fait Belge, il est, comme beaucoup d’autres, un exilé dans son propre pays.
Depuis que je suis toute petite, je l’entends conter ses aventures au Congo, pays où il est né et où il a vécu jusqu’à ses 20 ans. Comme beaucoup d’autres Belges. C’est beaucoup 20 ans. 20 ans, c’est aussi mon âge et je me dis qu’il a du en vivre des histoires. Mais, quand on est petit, on écoute sans vraiment comprendre, on trouve ça comique et original d’avoir un tonton qui a vécu en Afrique.
A 20 ans, j’ai décidé qu’il était temps que je me plonge un peu plus dans ces histoires et que je me mette à l’écouter vraiment. Après tout, c’est souvent “ceux-qui-vivent-depuis-un-certain-temps” qui ont les meilleures histoires. C’est comme ça que j’ai redécouvert un oncle qui me connaît et me fait rire depuis toujours.
L’African Dream
L’histoire de Michel commence fatalement par celle de ses parents, deux Belges en exil. Son père, issu d’une famille de 14 enfants, décide de partir au Congo parce qu’en Belgique, c’est la misère pour lui. Il y jette son dévolu mais aurait très bien pu choisire un autre pays. Il n’a pas spécialement de désirs coloniaux, juste celui de recommencer une vie à zéro, une sorte d’African Dream.
Sa maman, partie à six ans avec ses parents, a été élevée comme « une petite africaine ». Comme de nombreux Belges, son grand-père maternel avait été envoyé là-bas sous contrat. Sa mission était d’amener la lumière aux Congolais, littéralement. De fait, il était électricien. Les parents de Michel se marient tous les deux, mais pas ensemble. Ensuite ils divorcent, avant de se rencontrer et, deux enfants plus tard, nous les retrouvons à Elisabethville, l’actuel Lubumbashi. Dans un hôtel/restaurant/cantine/piscine que le patriarche dirige d’une main de fer et dont il est le cuisinier.
Elevé par une nounou, c’est en swahili que Michel est bercé, réconforté, grondé… Sa mère, durant ses premières années, est un peu une étrangère.
Quand Michel raconte son histoire, il est très ému. Il utilise souvent un mot pour un autre, ce qui n’empêche pas de comprendre ; c’est même attachant.
“Je n’étais plus à ma place”
En 1960, Michel atteint la majorité, l’indépendance. Le Congo aussi. La tension monte dans le pays, sa mère et sa sœur décident de partir pour la Belgique. Avant ça, il n’avait jamais vraiment réfléchi à sa condition de blanc en Afrique. C’est ce qu’il a toujours connu, c’était « normal » mais la naïveté de l’enfance s’arrête à ce moment-là et Michel commence à se poser les bonnes questions en côtoyant, durant ses dernières années de secondaire, de « vrais » Congolais.
Une fois diplômé, il décide de quitter la maison et de partir en Belgique. « Je suis né au Congo et cet endroit, c’est ma maison. J’étais heureux de le quitter, je me suis senti libéré. Il y avait beaucoup de contraintes, je sentais que je n’étais plus à ma place, je me sentais enfermé et la Belgique s’est présentée à moi comme une possibilité de sortie. »
Son père a un peu plus de mal à quitter cette fabuleuse terre d’accueil, cette nouvelle vie qu’il pensait définitive. Il achète même un billet aller-retour. Il n’utilisera que l’aller.
Une nouvelle vie belge
En arrivant en Belgique, il entame des études d’économie à l’ULG. Là, il découvre tout un tas de nouvelles possibilités culturelles : opéra, cinéma, concerts… Michel épouse Nicole. Ils auront ensemble deux garçons. En 1994, il se remarie avec Bernadette, ma tante, qui a deux filles. Ils forment ensemble une grande famille recomposée et très soudée.
Quatre enfants, ça fait pas mal de petits-enfants. Dix exactement. Sur la table du salon, on trouve le DVD de « la Reine des Neiges », ce qui est « absolument nécessaire quand on en a autant ». Michel sait les divertir aussi. Les enfants prennent un malin plaisir quand ils écoutent leur papy déclamant des lignes de sa nouvelle pièce. En effet, cette fois-ci, il joue un malade atteint du syndrome de La Tourette. La famille, c’est primordial. Et s’il aime Bruxelles, c’est aussi parce que c’est là que celle-ci se trouve.
On en parle justement de Bruxelles, capitale de l’Europe. Il croit beaucoup en cette dernière, lui, citoyen du monde. Ce qui le désole, c’est que l’argent en devient le but premier. L’argent, une des principales raisons de la colonisation, de la Première Guerre mondiale, de la décolonisation, de la misère humaine et qui participe à l’enlaidissement du monde.
Michel est un homme drôle, cultivé et surtout sensible à la cause de ses deux pays : celui de son cœur et celui où il vit. Il m’a rappelé la chance que nous avons de vivre en Belgique, mais celle-ci n’est pas parfaite et, assemblée au Congo, elle a, à jamais, changé la vie de beaucoup de personnes.
Portrait réalisé par Romane Heinen
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Et si Belges et Congolais pouvaient realiser leur vieux reve? Refaire l union Belgo Congolaise pour l avenir heureux de nos deux peules.