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Place du Jeu de Balle
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Rencontres sur la Place du Jeu de Balle, la populaire embourgeoisée

Le marché de la Place du Jeu de Balle a fêté ses 142 ans en mars dernier. Le site n’était pourtant pas destiné à accueillir les brocanteurs bruxellois. Portrait du lieu à travers les yeux de ses occupants.

par Eden Krsmanovic, Jennifer Dassy et Hélène Ghilain

Une place historique

Au niveau de l’actuelle place du Jeu de Balle, il y avait la société du Renard, une usine de locomotives et de machineries, fondée en 1837. L’endroit était alors nommé « la Place du Renard ». Lorsque la société a fait faillite, la ville de Bruxelles a racheté les bâtiments. Ceux-ci ont été détruits et la construction de la place s’est terminée en 1863.

Ce nouvel endroit a reçu le nom de « Place du Jeu de Balle » parce qu’il était destiné à la pelote, un sport très populaire à Bruxelles au XIXe siècle. A l’époque, le terrain de jeu se trouvait au centre de la place. Il a disparu lorsque les brocanteurs en ont pris possession le 15 mars 1873.

Le plus vieux marché de Bruxelles

Le marché de la Place du Jeu de Balle est le plus vieux marché de Bruxelles. En 1640, un endroit dédié à la vente de vieilleries est aménagé sur le pré des Foulons (actuelle place Anneessens), sur la rive gauche de la Senne. En 1849, sur ordre du conseil communal, la vente de bric-à-brac est limitée à ce seul marché.

De grands travaux ont ensuite été entrepris à Bruxelles : le voûtement de la Senne et l’aménagement des nouveaux boulevards centraux. Afin que le Vieux marché ne nuise pas à l’aspect du nouveau boulevard du Hainaut (actuel boulevard Lemonnier), le conseil communal a décidé de le déplacer sur la Place du Jeu de Balle en 1873. En échange, les brocanteurs ont reçu le droit de vendre tous les jours de la semaine, sauf le dimanche. Cette restriction a été supprimée en 1919.

Les brocanteurs

Fateh est Algérien. Depuis son arrivée en Belgique, il tient une échoppe sur la Place du Jeu de Balle. Il s’y rend tous les jours pour vendre des sacs qu’il a récupérés grâce à des vide-greniers.

Comme les autres brocanteurs, il est soulagé que le projet de parking souterrain n’ait pas abouti. De tels travaux auraient entraîné la disparition du Vieux marché.

Les chineurs

Les habitués du Vieux marché sont nombreux sur la place. Certains s’y rendent tous les jours, d’autres un peu moins souvent. Il y a ceux qui viennent pour le plaisir de se promener, ceux qui veulent acheter un objet bien précis, mais encore les professionnels en quête de nouvelles trouvailles.

On vient ici, on adore ça !

Les cafés

La clef d'or

Silvano, patron de l'estaminet 'Tonio et Silvano'

Cela fait 50 ans que Silvano vient dans ce bar tous les jours. Chez “Tonio et Silvano”, c’est une histoire de famille. Déjà bébé, son père l’y emmenait quand il travaillait. Aujourd’hui, c’est lui qui tient le bar. “Sur la place, on n’est pas le plus vieux café mais le plus vieux patron. Ici, c’est un estaminet depuis 1908”, précise-t-il. “La clef d’or” calque ses horaires sur les heures d’ouverture du marché aux puces. Un habitué nous donne des précisions :

Le bar est chargé de photos et de posters, de souvenirs, de décorations anciennes. Tout a une signification pour les habitués. L’établissement est simple et propose une petite restauration entièrement faite maison. Silvano nous parle des autres cafés de la place : “Le Marseillais, à côté, lui, c’est plutôt un café de nuit, ce n’est pas tellement un estaminet. Pas comme nous. C’est une autre clientèle, ce sont plutôt des jeunes.”

Intérieur de l'estaminet 'Tonio et Silvano'

Le café a beau ouvrir très tôt, il vise surtout les gens venus chiner, plus que les brocanteurs eux-mêmes. Silvano nous confie : “Je n’ai pas beaucoup de relation avec les marchands. Le marché, ce n’est plus comme avant. Le tourisme est là, mais les magasins, ça attire plus. Dans le temps, on trouvait de belles pièces : les marchands de la place étaient considérés comme "de bonnes adresses". Ici, ils déballent tous les jours, ça leur paye leur soupe, leur pistolet et c’est tout.”

“On vit du marché ici, et bien sûr du tourisme aussi le week-end”, ajoute Silvano. Quand le marché était menacé par la construction d’un parking souterrain, des réunions se tenaient dans le café. Commercialement, autour de la place, tout le monde vit du marché. “Si le marché n’est plus là, moi j’ai intérêt à fermer.”

S'asseoir à la table du roi Philippe et de la reine Mathilde

Cet estaminet a vu défiler des générations entières qui se relaient dans l’établissement sans se lasser. Les gens reviennent, le bouche-à-oreille fonctionne bien. Les petits-enfants ont connu l’endroit en étant petits et reviennent avec les amis quand ils sont plus grands. “C’est une chaine sans fin”.

Il y a eu beaucoup de changements depuis que Silvano fréquente la Place du Jeu de Balle. Les antiquaires sont redescendus du Sablon vers le marché. “Toutes ces maisons qui ne valaient rien du tout, maintenant, elles ont une valeur incroyable et les loyers sont très chers.”

Au milieu des nombreuses photos, il y en a une dont le patron est particulièrement fier : “C’est quand Mathilde et Philippe sont venus, le 5 octobre 2003. Il y avait un monde fou. J’ai même gardé la table, elle est restée là.” A la clef d’or, on vient donc aussi pour s'asseoir à la table où le roi et la reine ont mangé en leur temps. Et puis, le dimanche, il se peut qu’on tombe sur l’habitué le plus bruxellois de tous les habitués : “J’ai le grand Jojo qui vient tous les dimanches boire son petit verre, mais là, il ne chante pas. C’est son dada le marché aux puces, c’est un très bon client.”

Le Marseillais

Patrick a toujours vécu à Bruxelles. Il connaît la place du Jeu de Balle depuis ses 15 ans. L'homme a décidé d’y ouvrir son bar, Le Marseillais, il y a six ans. Deuxième place la plus visitée de Bruxelles, juste après la Grand-Place, elle accueille de nombreux touristes, en semaine comme le week-end.

Patrick a vu le quartier se métamorphoser d’année en année. Il témoigne : « Le quartier a évolué. Il s’embourgeoise, il devient un peu moins populaire. Dans le cas du parking, le but des politiques était vraiment de nettoyer le quartier de son côté populaire et d’en faire un nouveau Sablon ou une nouvelle Place Flagey. La résistance s’est faite grâce à ce côté très populaire, très soudé du quartier. Mais il y a effectivement un embellissement du quartier. Les antiquaires commencement de plus en plus à pousser vers la Porte de Hal. »

Le Marseillais est l’un des bars de la place qui ne fonctionne pas selon les horaires du marché :

Chez Willy

Ouvert de 6 à 10 heures tous les jours (et plus tard pour les habitués), Chez Willy est le seul café typiquement bruxellois qui existe encore sur la place. Sur fond du “Tango des cocus” de Tichke, les clients discutent en brusseleir.