« On n’est jamais meilleur citoyen qu’en ayant un regard critique sur la multitude de messages médiatiques qui nous assaillent », déclare en préambule, Gilles Abel, philosophe et animateur de débat. Etudiante en journalisme, je n’aurais pas pu mieux formuler la chose. La soirée commence bien, le ton est donné.
Jusqu’à la mi-décembre, l’Espace Magh (Centre interculturel aux abords d’Anneessens) accueille des ateliers de réflexion sur les médias encadrés par le philosophe. Le but étant que des jeunes aux profils divers se rencontrent pour débattre de tout ce qui concerne de près ou de loin les théories du complot, la manipulation par la presse, la couverture des médias de masse, les rumeurs, la désinformation, etc.
Accompagnée de Zoé, Alex et Cindy, tous étudiants en presse-information et rédacteurs pour le BBB, je me rends au premier atelier. Nous sommes très curieux et ressentons un profond désir de partage. Face à nous, il y a Yasmine et Amine qui étudient les sciences-humaines, Merve qui fait science-po et Emmanuel qui est en commerce extérieur. Sont également présents deux représentants du centre de jeunes Dolto (Anneessens). Je me réjouis de la pluralité de ces profils.
Le web émancipe et emprisonne
Pour entrer dans le vif du sujet, nous écoutons ensemble la capsule de Jacques Munier (France Culture) sur « Les grosses ficelles de la manipulation ». Ce document nous questionne tous et nos réflexions lancent le débat : est-ce que les nouvelles technologies (internet principalement) sont faites pour nous ouvrir au monde ?
Pour certains, oui. Tout en gardant à l’esprit qu’il existe une véritable tension entre ce que, d’une part, l’outil internet permet, un accès à des contenus du monde entier ; et, d’autre part, ce que ses algorithmes engendrent : un contrôle et un filtrage des infos pour les adapter au profil de l’internaute.
Cette idée induit donc que le web est pensé pour le consommateur, mais que, de façon tout à fait contradictoire, les moteurs de recherche privent ce dernier d’une certaine liberté en sélectionnant pour lui l’information à laquelle il va accéder. En poussant cette idée un peu plus loin, je me demande si on ne devrait pas considérer Google et ses semblables comme des médias créés pour les annonceurs et non pour les consommateurs. En effet, cette vision de la chose pourrait expliquer le filtre qu’ils opèrent de sorte à ce que les contenus qui apparaissent à l’écran soient au goût de la personne qui surfe. S’assurant ainsi un maximum de clics. A moins que ce contrôle de l’information ne soit opéré pour assurer un certain pouvoir aux magnats des médias. La question reste ouverte.
Consommacteur
Fait avéré : aujourd’hui, nous sommes devenus des lecteurs actifs. En plus de consommer l’information, on la sélectionne et on la partage. « On a une nouvelle responsabilité et il faut la prendre au sérieux, vérifier l’info avant de relayer », explique Alex Antoun. Ce qui auparavant était une fonction quasi réservée aux journalistes, devient le job d’un citoyen lambda. Et pourtant, tous autour de la table, nous avons bien conscience que la majorité des personnes ne réalisent pas l’importance de ce rôle.
Le débat bat son plein. Du coté IHECS, on enfonce le clou de nos convictions à coup de chiffres et autres citations tout droit sorties de nos cours. Gilles reformule, traduit, met en exergue. Je me sens comprise et j’apprécie. Même si parfois j’ai l’impression qu’il y a confusion entre certains termes tels que : réseaux sociaux, nouvelles technologies, média, internet, moteur de recherche, web, monde virtuel, etc. Mais nous avons tous des parcours différents et tout le monde n’est peut-être pas aussi passionné que moi par ces domaines.
De l’autre côté de la table, les avis sont moins formatés et ça fait du bien. C’est ainsi que je réalise à quel point mon cursus en journalisme façonne mon point de vue que je pensais souvent unique. Parfois meilleur qu’un autre.
Trolls : pourquoi ?
Se pose ensuite la question de l’ouverture des médias aux commentaires des internautes et de la sombre facette que représente le trolling. Si vous vous êtes déjà aventurés dans les méandres des commentaires Facebook des articles de presse, vous avez très certainement été témoin de propos haineux et xénophobes en tout genre. Comment expliquer ce genre de comportements ? Témoignent-ils d’un besoin d’attention ? D’une quête de popularité ? Ou est-ce le résultat d’une perte d’inhibition ? D’une sensation de déresponsabilisation procurée par les réseaux, la distance, l’écran ?
Ce qui est certain, c’est que si seulement une toute petite portion de la population s’ose à ce genre de pratiques, les nouvelles technologies permettent aux propos les plus abominables d’être mis sous le feu des projecteurs, risquant ainsi de propager ce genre de point de vue alors qu’à l’origine, ils n’étaient qu’anecdotiques.
Serait-ce alors notre consommation des médias qui pourrait changer la donne ? De manière parfois involontaire, on tend à consommer ce qui nous conforte dans nos idéaux. Ce phénomène, à long terme, aurait tendance à renforcer nos convictions, allant jusqu’à les radicaliser dans certain cas.
« On consomme l’info comme on consomme un horoscope”
Mais comment expliquer ce comportement ? Zoé explique : « On consomme l’info comme on consomme un horoscope. Quand on lit ce qui nous plaît, ce qui nous conforte dans notre vision des choses, on est satisfait, on approfondit la lecture. Mais si ce qu’on lit nous déplaît, n’est pas en concordance avec ce qu’on pense, on tourne la page et on passe à autre chose. » Les gens n’ont pas envie de détruire leurs convictions.
Chacun de ces mots a son importance. Gilles Abel nous fait remarquer que, d’une part, on parle de conviction – terme relatif à la sphère de l’émotion – et non de la certitude relative aux faits. Puisque aujourd’hui, de plus en plus, le pathos est cultivé pour que les émotions dirigent les comportements des consommateurs de médias. D’autre part, lorsque l’on utilise le verbe détruire, on induit qu’il y a un affrontement, une vision dichotomique de la société. Que c’est noir ou blanc. Or la réalité est complexe et pour l’appréhender correctement, il est nécessaire de croiser les points de vue.
La soirée se termine sur ces douces réflexions. Je quitte le centre interculturel avec encore plus de questions que lors de mon arrivée. Mais je trouve ça génial. Ce soir, je me suis sentie stimulée à aller au bout de mes raisonnements, à chercher plus loin et à cesser de prendre les propos de mes professeurs pour parole d’évangile. J’ai hâte d’être jeudi pour la prochaine rencontre.
Bonjour Eloïse,
Aurais-tu davantage d’informations concernant ces soirées-débats?
Je n’en trouve pas sur le site de l’Espace Magh et ça m’intéresserait d’y participer.
Narjiss