Le LOFT 58, nom donné à la nouvelle cafétéria de l’IHECS, divise. Son ouverture en février 2018 a pourtant été applaudie par les élèves et les professeurs. Ambiance jazzy, canapés en cuir, bref une cafèt’ très instagramable. Mais depuis le 8 octobre, pour contrer un problème croissant de places assises, un système de zones a été mis en place. Désormais, la majeure partie de la salle est réservée aux consommateurs entre midi et 14 heures. Ce sont les fameuses zones bleues.
Les questions qui en découlent sont légitimes : est-il normal de favoriser celui qui paye dans un établissement scolaire ? Qui est derrière cette entreprise externe ? Quelle place pour les étudiants dans cet endroit ? Et qu’en est-il des prix ?
« Ils ont choisi de faire un Starbucks à la place d’un endroit étudiant. C’est pas du tout adapté à nos besoins. » Une étudiante de l’IHECS
Il est important de reprendre l’histoire à son commencement. Depuis l’arrivée de l’IHECS à Bruxelles, sa cafétéria a toujours été gérée par une entreprise externe, notamment Sodexo (2001-2002) qui s’occupe aujourd’hui de la nourriture de plusieurs établissements à Bruxelles. “L’IHECS n’a pas les moyens de gérer cela toute seule. Nous ne percevons pas d’aide financière, contrairement aux universités”, explique Amandine Bisqueret, chargée de communication de la haute école. “Pas d’exploitant, ça veut juste dire : pas de cafétéria.” Ce qui est impensable.
La base pour un (futur) communiquant, c’est d’avoir un endroit pour boire un café et discuter. Et plus c’est beau, mieux c’est. Exit donc la cantine décrépie, les longues rangées de tables et les pâtes trop cuites. La cafétéria devait redevenir un lieu apprécié, comme au temps où les étudiants et professeurs y jouaient au baby-foot en fumant des clopes roulées. Sans cigarette cette fois, question d’époque.
La direction a donc lancé un appel d’offres et c’est Gesti-amo et son patron Haile Abebe qui ont raflé la mise. De vieilles connaissances, puisque Gesti-amo gère également le Cercle des voyageurs, restaurant situé non loin de la haute école. Le studio de la radio de l’école, Rlive, est d’ailleurs sous-loué à l’IHECS par la même entreprise. Par la suite, un « comité de restauration » a été mis en place. Il comprend les différentes parties et le cercle des étudiants, CEICS, responsable du côté folklorique et dépendant financièrement de la direction pour certains événements. Le CEHEG, Conseil des étudiants de la Haute Ecole Galilée, n’était par contre pas invité. Et ce malgré leur demande. « Moins ils nous ont dans les pattes, mieux c’est pour eux. Mais c’est dommage, car cela met le CEICS en porte-à-faux. Nous avons une plus grosse force de frappe pour défendre les étudiants » explique Olivier Coppens, président du CEHEG. De ce conseil est né le LOFT 58, un projet qui aurait coûté près de 100 000 euros à l’IHECS selon plusieurs sources, et une somme plus coquette encore à M. Abebe. Ces frais doivent être amortis sur les six années à venir.
Des événements en soirée à prévoir
La SPRL Gesti-Amo gère plusieurs établissements à Bruxelles. Le Cercle des voyageurs, mais aussi le Café Béguin ainsi que l’ASBL Mondo-culture. Leur portefeuille culturel doit profiter à l’IHECS et permettre une organisation d’événements réguliers en soirée. Adriano Galati, responsable marketing et développement de Gesti-amo, explique les objectifs de ce projet : « Oui, il faut faire de l’argent, mais on ne veut pas s’en mettre plein les poches ici. C’est plutôt tactique : se rapprocher d’un public différent, cerner les demandes des futurs grands consommateurs que sont les étudiants, chercher les évolutions technologiques et les approches à avoir et se confronter dans un type de restauration plus ‘à la chaîne’, tout en restant qualitatif ». Et l’argent, selon lui, ne se fait pas avec la nourriture vendue en journée : « On cherche juste à rentrer dans nos frais. C’est plutôt le concept de location en soirée qui nous permet de respirer. Sans ça, on ne sort pas la tête de l’eau ». Un arrangement qui autorise l’entreprise à organiser des évènements après 18 h.
Quant à l’instauration des zones bleues, Adriano est embarrassé : « Ce n’est pas pour embêter les gens. On ne voulait pas le faire à la base, ça a provoqué des gros débats en interne, mais c’est une nécessité pour ceux qui commandent un plat chaud et qui ne peuvent même pas s’asseoir. On essaye de développer d’autres endroits (le bâtiment Bord de verre est en cours d’aménagement). Et puis, au final, où est-ce qu’on trouve des sandwichs moins chers dans le coin ? »
Des prix dans la norme du quartier
Justement, on y vient. Nous avons sondé les sandwicheries aux alentours de l’IHECS. Alors, les sandwichs du LOFT 58 sont-ils les moins chers du quartier ? Découvrez-le dans cette carte interactive :
Les tarifs, on le voit, se ressemblent. À quelques détails près. Nous avons également étudié la gamme de prix de deux universités (Saint-Louis et l’ULB) et de deux hautes écoles bruxelloises (ICHEC, EPHEC). Les résultats sont plus contrastés.
La différence avec les universités est nette. La raison est simple : les subventions. À Saint-Louis, par exemple, c’est une volonté du service social de garder des prix bas. Possible à l’IHECS ? « Ça pourrait être faisable. C’est à l’école de faire les démarches, pas à nous », selon la gérance de la cafétéria. Olivier Coppens est plus mesuré : « ça pourrait se faire, mais nous n’avons pas le même budget que les universités. Baisser les coûts de la nourriture, cela voudrait dire moins de moyens pour aider les étudiants par ailleurs ». Pas de subvention en revanche à l’EPHEC ni à l’ICHEC. Et partout, la possibilité de ramener de la nourriture de l’extérieur à toute heure de la journée.
La question de la privatisation, par contre, est la même partout : les cafétérias des deux universités sont gérées par Sodexo, un groupe français qui fournit la nourriture dans énormément d’établissements à Bruxelles. L’EPHEC et l’ICHEC sont quant à elles gérées par des indépendants, respectivement Litchi et Seny, qui ont le même statut que Gesti-Amo. Les conditions sont similaires : la cuisine et le mobilier sont sous leur responsabilité, la salle appartient à l’établissement. La seule différence avec Gesti-Amo, c’est le nombre d’endroits géré. Litchi et Seny se concentrent uniquement sur leur cafétéria respective.
Les étudiants, la priorité ?
Outre les prix, certains étudiants ont l’impression de perdre un endroit qui leur appartenait. Justine Mathei, étudiante en Master 1 et membre du CEICS, confirme : « Cela s’est déroulé petit à petit. D’abord, on nous a interdit les évènements étudiants, ensuite on a déplacé les micro-ondes dans le bâtiment d’en face. Et un jour, sans prévenir, ils installent des zones consommateurs. On privilégie la santé économique d’un commerce au bien-être des élèves. » « Si on accepte ça, qu’est-ce que ce sera ensuite ? Des gens extérieurs seront encouragés à venir et on se retrouvera dans un restaurant. Ce n’est pas normal pour une école » ajoute Lea Vromman, elle aussi étudiante en Master 1. Nous avons posé la question à Adriano Gallati : « La priorité est d’abord de gérer le flux d’étudiants de cet établissement avec facilité. C’est le public-cœur. Mais pas le public cible, c’est différent. Nous sommes sur le point de lancer une application pour commander son sandwich, ça ouvre la porte aux étudiants de l’académie des beaux-arts ou du conservatoire, par exemple. » Impossible pour le CEHEG : « Je suppose que personne ne sera d’accord avec ça. C’est déjà complètement saturé ici donc ouvrir à l’extérieur c’est suicidaire. Et puis au niveau de la sécurité, c’est impossible. C’est une école, pas un lieu public.”
Le directeur de l’IHECS, Luc De Meyer, est quant à lui satisfait du résultat : « Autrefois, les gens fuyaient la cafétéria, aujourd’hui elle est remplie. En ce sens, le défi est réussi. On a insisté pour ne pas séparer professeurs et étudiants, comme dans d’autres établissements, pour retrouver une ambiance typique de l’IHECS. Ce doit être un carrefour avec les élèves et les enseignants qui peuvent aussi faire des réunions dans un endroit sympathique. C’est un outil magnifique, il faut arriver à un équilibre pour profiter de cet outil. Chacun doit comprendre la dynamique de l’autre : que nous sommes une école, bien sûr, mais aussi que les gens qui y travaillent doivent rentrer dans leur frais. Et nous ne sommes pas contre les activités étudiantes si elles sont pertinentes. »
Huit mois après son ouverture, le LOFT 58 tâtonne encore pour trouver une formule viable. Des efforts sont consentis, mais une incompréhension de la part des étudiants persiste. Le staff se dit à l’écoute. Alors qu’une lettre ouverte va être publiée par un groupe d’étudiants, une meilleure communication semble être un premier pas nécessaire pour une cohabitation fructueuse. L’occasion, à l’IHECS, de mettre la théorie en pratique.