Comme la plupart des usagères et beaucoup d’usagers des transports publics, je suis régulièrement gênée par ce qui s’appelle le manspreading. L’étalement masculin, qui consiste à s’asseoir jambes grandes ouvertes. Gênée parce que, quand mon voisin déborde sur mon siège, je n’ai d’autre solution que de me racrapoter sur l’espace laissé libre. Gênée parce que, quand je monte dans un véhicule et qu’un homme est dans cette position, j’ai le choix entre essayer de trouver une autre place ou m’embarquer pour un voyage inconfortable.
Quelle différence avec le sac posé sur un siège libre, me direz-vous. C’est simple, souvent, il suffit de regarder le sac avec insistance, et son ou sa propriétaire l’ôtera bien vite. Tout comme il est aisé, au pire, de déplacer le sac, bien que le simple fait de montrer que, sac ou pas, on va s’asseoir et tant pis si on l’écrase, règle le problème.
Alors qu’il est nettement plus délicat de demander à quelqu’un de se pousser, lui, sa personne et non un objet. Et qu’au fond, on n’est jamais très sûr de la réaction. Un jour où lassée, j’ai pris sur moi de le faire, j’ai reçu comme réponse : « Je ne vais quand même pas serrer les jambes comme une pute ! » Et des témoignages qui décrivent des réactions similaires (« Je ne vais pas m’asseoir comme une femme ou comme un homosexuel ») ne sont pas rares. Si chez certains, cette posture est inconsciente, chez d’autres, elle délivre bel et bien un message. Enfin, personne n’a l’envie, le courage ou l’énergie de faire la remarque chaque fois que la situation se produit.
Il y a quelques jours, j’ai posté sur mon mur Facebook, entre des publications sur l’horreur à Alep et le refus de la Belgique de sauver deux petites filles des bombes, la photo d’un mâle affalé dans mon bus. Je ne m’attendais pas un instant au déchaînement de passions qui s’en suivit et se poursuit dans la presse. Depuis, je reçois des remerciements, surtout de femmes, mais aussi d’hommes. Des hommes déclarent qu’ils ne se rendaient pas compte mais que désormais, ils feront attention.
Enfin, certains dépensent une folle énergie à demander si je n’ai pas mieux à faire (la réponse se trouve dans mon travail parlementaire). Que l’écartement des jambes serait purement physiologique. J’en déduis que ceux-là supposent que les hommes qui se tiennent correctement « en ont des petites » et craignent par dessus tout qu’on puisse imaginer que c’est leur cas. Que c’est vraiment une drôle d’idée de voir là un comportement genré. Ils y mettent tant de passion et de temps à argumenter au lieu de passer leur chemin que, finalement, ils démontrent que, si le manspreading n’est certainement pas le sujet le plus grave du monde, il touche à des questions bien plus profondes que les autres incivilités.
Au fait, je demande juste que la STIB appose des pictogrammes pour attirer l’attention de ses usagers, comme dans le métro new-yorkais. Rien de très coûteux ni révolutionnaire. Enfin, c’est ce que je croyais.