« Pays de Charleroi, c’est toi que je préfère. Le plus beau coin de terre, à mes yeux oui c’est toi… » répondent tous les Carolos à ceux qui qualifient leur ville de cité la plus laide de Belgique ou de Pays noir sans espoir. Charleroi est en plein renouveau, un renouveau qui se veut tant démographique, architectural que culturel. C’est une ville plus dynamique que beaucoup de gens ne le laissent croire. C’est une ville qui bouge, mais encore et surtout, Charleroi est une ville qui danse. Pour preuve, ses nombreuses écoles et studios de danse, mais aussi ses institutions publiques telles que « Charleroi Danses » : le successeur du Ballet Royal de Wallonie. La danse est donc une facette à part entière de cette cité à l’identité culturelle forte. Immersion.
On compte plus de 16 écoles de danses privées dans toute l’agglomération de Charleroi. A celles-ci viennent s’ajouter les différents conservatoires et académies. La culture et surtout sa démocratisation sont deux des principaux enjeux de la métamorphose que vit Charleroi. Pour beaucoup de Carolorégiens, la danse est vue comme un moyen d’expression, pourvoyeur de messages et d’identité culturelle.
Des studios tels que la Yuka Dance Academy, le Carolo King Ballet, Avalanch ou Style & Move ne sont pas des salles de danse où les élèves apprennent simplement à danser. Ils apprennent aussi à s’exprimer et à transmettre des messages culturels dans leurs projets. Des messages qui sont relayés par les différents acteurs sociaux, et, plus particulièrement, les centres culturels du centre-ville. Le Palais des Beaux-Arts, l’Eden (le Centre culturel régional de Charleroi) ou le complexe, récemment rénové, de Charleroi Danses (le Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles) participent chacun à leur niveau à cette métamorphose. Tous les trois jouent un rôle des plus importants quant à la production et la diffusion de spectacles de danse.
Jadis, cette mission culturelle était menée exclusivement par le Ballet royal de Wallonie. Fondé en 1966 par Hanna Voos, le ballet composé d’une quarantaine de danseurs a posé les bases de la danse à Charleroi. En s’établissant aux Beaux-Arts, la troupe a fait découvrir la danse classique aux habitants de toute l’agglomération carolo mais aussi de Wallonie. Parmi les danseuses qui composaient le ballet, Annie Savouret et Yuka Ohara (Japon) ont créé leur propre école de danse. Aujourd’hui, elles transmettent dans leurs cours le plaisir et l’expérience qu’elles ont connus au fil des années et des représentations. Elles font danser le Charleroi d’aujourd’hui comme dansait celui d’antan. Le hip-hop et le contemporain en plus.
Pour tous, par tous
Avec une population de danseurs conséquente, le « Grand Charleroi » propose une multitude de disciplines. Du hip-hop assez prisé par les jeunes générations au contemporain en passant par les danses de salon et le classique, l’offre proposée dans les studios de danse est plus que complète. Les écoles bourgeonnent et affichent presque toutes complet. La plupart se plaignent même d’un manque d’espace. Des studios où tous les univers de la danse se croisent et où tous les Carolos se mélangent. Qu’ils viennent de Marchienne-au-Pont, de Gilly, de Couillet ou de Charleroi (centre), qu’ils soient fils ou filles d’ouvriers, de médecins, de commerçants ou encore blancs, noirs ou arabes, tous ensemble, ils font bouger Charleroi.
La mixité sociale est donc un des atouts d’une ville comme Charleroi. Chacun vient avec sa propre culture et sa propre vision de la danse. Le hip-hop y est la discipline la plus marquée. Les échanges, les battles et les chorégraphies sont donc tous influencés par cette multiculturalité. Il en ressort parfois des groupes détonants qui s’illustrent lors d’événements locaux. L’événement le plus représentatif de cela est le concours Hip Hop A6000, un concours inter-écoles organisé chaque année à l’Eden par l’école Temps Danse Urbaine. D’autres tremplins existent tels que Ground Killaz qui fait venir chaque année le gratin du hip-hop européen. Ces tremplins font rêver de gloire et de succès mondial les jeunes Carolos. Et tout cela, est incarné par le groupe Crazy Alliance, le modèle de la région. Ces six Carolos illustrent parfaitement la multi-culturalité de la ville. Ils ont fait de cela un atout qui leur a permis de remporter le titre de Champion du Monde de danse Hip Hop en 2012.
Le mastodonte : Charleroi Danses
Au milieu de cette multitude de petites institutions de qualité se glisse un géant de la danse. Sous la direction de Frédéric Flamand, le Ballet royal de Wallonie va devenir Charleroi Danses. Directeur artistique de 1991 à 2004, l’homme va changer radicalement la nature de la Compagnie. Le ballet classique est alors remplacé par la danse contemporaine. Aujourd’hui, Charleroi Danses est le Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Logé dans le centre-ville, au pied de la Tour de police érigée par Jean Nouvel, Charleroi Danses est la plus grosse institution de la Communauté française consacrée à la danse. Profitant d’infrastructures rénovées et inaugurées en novembre 2014, le centre de danse est fort de quelque 2 330 mètres carrés dont 840 mètres carrés de studios. A cela viennent s’ajouter une salle de spectacle ainsi qu’une brasserie (pas encore fonctionnelle). Un chantier qui aura coûté quelque 4,5 millions d’euros.
L’institution bénéficiait en 2011 d’un budget de 3 320 000 € soit plus de la moitié du budget total consacré à la danse en Fédération Wallonie-Bruxelles (6 millions d’euros). Avec une indexation et une volonté de démocratisation de la culture, le budget des dernières années s’est probablement vu augmenter. Grâce à cet argent, le centre accueille en résidence des artistes et compagnies de danse contemporaine des quatre coins du monde. Mettant à disposition les studios et la salle de spectacle gratuitement dans un processus d’aide à la culture. Charleroi Danses cherche à acquérir une portée internationale, le tout en plaçant la ville de Charleroi sur la carte du monde de la danse. Un projet qui s’inscrit dans la continuité du renouveau engendré par la Ville.
Responsable d’une mission publique de création, de production et de promotion de spectacles autour de la danse contemporaine, Charleroi Danses est aussi chargé de rendre cette discipline plus accessible au public et ce, via sa communication et via sa programmation. La Médiation scolaire et l’approche pédagogique du contemporain font aussi partie de la mission culturelle. Sensibiliser les étudiants ainsi que les professeurs à la danse contemporaine est une des pierres angulaires du programme. L’objectif de Charleroi Danses est, dans un premier temps, d’identifier un public, de constituer une niche de spectateurs, amateurs de ce courant de la danse. De ce point de vue, la population de Charleroi ne fait pas partie, au premier abord, du public ciblé par l’institution. Ensuite, l’institution souhaite faire tomber le faux stéréotype qui voudrait que la danse contemporaine s’adresse exclusivement à l’élite. Et pour ce faire, le développement de la brasserie en un réel lieu de vie carolo est l’une des principales pistes. Dès que ce lieu sera opérationnel, le but de Charleroi Danses est d’attirer un maximum de gens dans ses murs pour créer une cohésion sociale. De cette cohésion avec le lieu devrait déboucher l’envie de découvrir ce qui se fait dans ces studios de danse et donc de venir voir des spectacles.
À Charleroi et non Pour Charleroi
Entre mission culturelle, démocratisation de la culture, mission de création et de promotion internationale, le Centre Charleroi Danses ne sait pas vraiment quelle position adopter face au public carolo. La volonté de s’établir à Charleroi était celle de prolonger l’activité du Ballet royal de Wallonie tout en mettant en avant le nom de la ville. En bénéficiant de locaux Boulevard Mayence, l’institution se situe au cœur de Charleroi, à quelques pas de lieux hautement fréquentés. De plus, le nouvel Hôtel de police offre une visibilité sans précédent au complexe. Malheureusement, parmi les riverains, très peu de gens savent exactement ce qu’est Charleroi Danses et ce qui s’y fait. Le discours mis en avant par l’équipe de Vincent Thirion est des plus paradoxal.
Petit rappel historique le projet de Centre de chorégraphie de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est fait sur base de candidatures. Au terme d’un concours, c’est la ville de Charleroi qui a été choisie pour l’accueillir. Ce projet est venu s’intégrer dans la dynamique de renouveau de la ville et pour placer Charleroi sur la carte du monde. Le problème cependant est que les Carolos, les habitants de Charleroi, l’âme de la ville ne sont que très peu mis en avant ou pris en compte. Des projets citoyens tel qu’Atlas, une représentation mettant en scène cent personnes issues de la population wallonne et majoritairement des environs de Charleroi, ne sont que trop rares. D’une part, il y a des collaborations mais d’autre part, celles-ci ne sont que très faibles avec le monde de la danse carolorégien. La priorité est axée sur l’international. Une des missions de l’institution est la mise à disposition de locaux et de studios. Des studios disponibles sur demande par tous les acteurs locaux. Face à des centres culturels comme l’Eden qui ne se revendiquent pas exclusivement un centre orienté vers la danse et qui ne possède pas d’infrastructures adéquates, celui-ci est pratiquement le seul à tenir des événements mettant à l’honneur les talents locaux. La plupart des activités en rapport avec la danse à Charleroi sont issues d’initiatives personnelles et non de propositions faites par un pôle qui se revendique exclusivement dansant. De plus, les quelques propositions ne sont que très peu soutenues par l’institution, moyennant disponibilités et cahier des charges.
Tomo Dhimoïla, leader du groupe Crazy Alliance et professeur de danse à la Yuka Dance Academy a fait appel à Charleroi Danses dans le cadre d’un projet lié au hip hop. « Nous avons voulu solliciter Charleroi Danses pour pouvoir mettre sur pied notre spectacle avec le groupe Crazy Alliance. A l’époque, nous étions numéro un mondial. Collaborer avec eux aurait été très bénéfique car ce sont des professionnels, ils auraient pu nous guider au niveau des lumières et nous aider avec les infrastructures. Nous étions très motivés mais, malheureusement, nous n’avons reçu que peu de réponses de l’institution. Et la plupart d’entre elles étaient négatives. Nous nous sommes donc lancés dans le projet seuls et je dois dire que ça a vraiment bien marché. Par après, Charleroi Danses est revenu vers nous pour nous proposer de refaire quelques dates de notre spectacle. Dégoûtés d’une telle attitude, nous n’avons même pas pris la peine de répondre. » Malheureusement, c’est le même son de cloche pour Thierry Turla, directeur de l’école de danse Style & Move : « le problème à Charleroi c’est que l’on a un organe culturel qui est dédié à la danse mais qui ne soutient pas vraiment les acteurs de la danse à Charleroi. Tous les projets mis sur pied ici pour les gens de Charleroi sont issus d’initiatives personnelles ou des écoles. Par exemple, le Salon des écoles de danse de Charleroi qui se déroule à Ville 2 ou le Hip Hop A6000 qui a été mis sur pied par Mona et Rachid de chez Temps Danses Urbaines. »
Certes, il y a une volonté de rendre accessible le lieu et la danse contemporaine mais cela ne semble pas vraiment fonctionner. Mais, à l’opposé, les partenariats avec les autres acteurs socio-culturels, avec les écoles ou les studios de danse ne sont apparemment pas si fréquents que ce que l’organisation a bien voulu le dire.
Le choix de la danse contemporaine était-il donc bien judicieux pour une ville comme Charleroi ? Quand on sait qu’une institution comme Charleroi Danses se voit recevoir plus de la moitié du budget dédié à la danse en Fédération Wallonie-Bruxelles, est-ce judicieux de miser sur la danse contemporaine ? Pour Anne Savouret, danseuse étoile au Ballet Royal de Wallonie pendant 20 ans et professeur de danse classique au Carolo King Ballet, « le public carolo et le public en général ne sont pas vraiment prêts pour la danse contemporaine. Je me souviens quand je dansais dans le ballet, on faisait toujours des petites interventions dans les opérettes, les gens venaient voir les opérettes et, en même temps, ils voyaient quelques minutes de danse classique. Ça les a préparés petit à petit à voir du classique. Ensuite, les gens sont revenus pour nous voir, pour voir les spectacles de danse classique uniquement. La transition s’est faite en douceur et la Compagnie a trouvé son public, toujours plus nombreux. Le problème avec Charleroi Danses et le contemporain, c’est que le public n’a pas eu le temps de s’habituer. C’est un nouveau courant de la danse qui peut paraître plus inaccessible que la comédie musicale ou le hip hop. »
Le nombre de Carolos qui se déplace pour voir des spectacles à Charleroi Danses est réduit. La plupart de la population n’est pas au courant de la programmation de l’institution et ne connait pas la danse contemporaine. Pour toucher les foules et se revendiquer carolo, l’institution aurait tout intérêt à multiplier les initiations et découvertes à ce milieu pour le dédiaboliser.
L’institution Charleroi Danses n’est donc pas un acteur majeur culturel au sein de la ville de Charleroi. Elle joue un rôle important au niveau de la création et de la visibilité mondiale mais échoue en termes de démocratisation de la culture et de proximité avec la ville. Les nouvelles infrastructures encore incomplètes et une situation financière délicate ont probablement joué un rôle quant au manque de communication et de collaboration avec la population carolo mais le projet n’en est encore qu’à ses débuts. La mission et les objectifs fixés dans le contrat-programme de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont remplis à court terme ce qui assure la viabilité de l’institution. Pour le long terme, une nouvelle stratégie devrait voir le jour, et ce, dans le but de faire le plein de monde. Un public venant enfin de Charleroi mais aussi de toute la Wallonie ou la Belgique.