Charleroi, les mondes inversés

Le 25 avr 2016 - par Sara Correia Lima

Charleroi, capitale sociale de la Wallonie, est une ville de nature ouvrière et industrielle qui n’a aujourd’hui plus les “atouts” de ses villes voisines : on n’y trouve pas d’université, pas de “centre historique”, pas de citadelle, ni de Beffroi. Ce n’est donc pas pour visiter un lieu historique que l’on se rend à Charleroi. Pourtant, on y retrouve un musée d’art contemporain à renommée internationale, le BPS22, sur le site de l’Université de Travail, qui a rouvert en septembre 2015, renouant ainsi avec un certain dynamisme et une culture underground.

Construit de verre et de fer, le BPS22, ancienne usine industrielle, a été érigé en 1911, à l’occasion de l’Exposition industrielle et commerciale de Charleroi. Après l’événement, il servira d’abord d’atelier pour l’Université du Travail et fera ensuite office d’entrepôt. En 2000, le bâtiment a été rebaptisé BPS22, un musée d’art contemporain reconnu internationalement, situé dans un quartier précaire de Charleroi.


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Mais est-il également reconnu à une échelle locale ?

Pierre-Olivier Rollin est le chef du secteur d’arts plastiques dans la province du Hainaut. Depuis l’an 2000, il est le directeur du BPS22. Il nous répond:

« Au départ, le public cible du BPS22 était le cercle restreint des amateurs d’art contemporain. Au fur et à mesure, le projet s’est développé et les offres se sont diversifiées, afin de toucher un public plus large. Le musée est principalement visité par des amateurs d’art ou de culture en général. Il a aussi du succès auprès des intellectuels mobiles (familles ou amis qui font des city trips culturels, en n’utilisant pas les médias de masse, mais en passant par des communautés virtuelles. »

Le public qui fréquente les lieux culturels est un public déjà engagé dans les pratiques de consommation culturelle. Ici, le challenge est de parvenir à toucher un public désengagé culturellement qui, quelque part, est aussi est un public désengagé socialement ou professionnellement. Toucher ces publics-là n’est pas une mince affaire : un processus doit être mis en place afin de les attirer. Ce processus demande du temps, de l’argent et passe par la médiation.

Elvio Larocca vit dans le quartier de la Cité des métiers. Rencontré dans un bistrot du coin, il avoue n’avoir jamais entendu parler du BPS22. Après un moment de réticence, il a finalement accepté notre invitation à venir découvrir l’univers particulier de cet ancien bâtiment industriel. Nous l’avons accompagné pour sa première visite dans un musée d’art contemporain.

Le temps ? Sophie Pirson, responsable depuis deux ans et demi de la médiation du public nous explique qu’il ne suffit pas que de placer des “annonces” dans les rues afin de toucher un public plus large. Il faut aller les chercher, créer un vrai réseau avec le milieu associatif. Il faut constamment réinventer des “concepts”, des idées d’événements qui attirent un plus grand public. Le BPS22 offre également la possiblité d’y organiser des goûters d’anniversaire, des dîners d’entreprise, des réunions de quartiers, etc…

L’argent ? Etant donné l’emplacement du BPS22, le prix d’entrée doit être en accord avec les moyens des habitants. Les prix sont relativement bas, certains dimanches, l’entrée étant même gratuite. Pourtant, on voit là que le prix n’est pas quelque chose qui pose problème aux gens, car même quand leur entrée n’est pas payante, les habitants ne sont pas au rendez-vous. Le problème est un obstacle culturel : les institutions culturelles peuvent faire peur à certaines tranches de la population qui pourraient encore les voir comme réservées à une “élite formée culturellement”.

La médiation ? “À la question de la formation culturelle, il n’y a que la médiation qui peut répondre”, explique Pierre-Olivier Rolin. Le service médiation du BPS 22  propose différentes activités au sujet de la découverte, de l’échange et de la rencontre. Différents ateliers sont organisés autour de thématiques bien définies : l’interrogation entre l’art et la société, la relation entre l’art et la philosophie, etc… Le musée réunit également différentes disciplines artistiques (la musique, le théâtre, la danse, etc…) qui créent des liens avec les arts plastiques.

Une programmation attirante?

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Pour répondre à la fragmentation des publics, il faut répondre à une fragmentation de l’offre et une programmation adaptée.

“La programmation peut être vue comme une marche en canard. On fait un pas à gauche, avec une expo qui touche un public plus ciblé d’amateurs d’art, en suite on fait un pas à droite avec une expo plus “accessible” qui touche un public plus large. Le plus important est qu’on continue toujours dans la même lignée”.

 

Exposition au BPS22 - Les mondes inversésEn parallèle à l’exposition qui a lieu maintenant “Les mondes inversés”, Jean-François Houtart a réalisé un atelier où se sont rendues 200 personnes.

D’un autre côté, la programmation délibérément internationale avec des artistes venant de partout. Grâce à cela le BPS22 arrive à avoir une renommée. Par exemple, le Guggenheim d’Abu Dhabi nous a contacté au sujet de la pièce de “” exposée à l’exposition des “mondes inversés”. Ils nous enverront un expert pour estimer un prix de cette oeuvre.

“Nous avons là une belle preuve que notre musée trouve sa place dans le monde de l’Art contemporain”.

Les intérêts publics que rapportent un tel musée à la population locale sont divers. Ils s’inscrivent dans la lignée du projet de rénovation urbanistique que Charleroi met en place ces 10 prochaines années à venir. Le BPS 22, par sa renomée internationale, procure aux habitants un sentiment de fierté. Cela a aussi un côté rassurant pour ceux-ci de savoir qu’il y a un musée dans leur ville. Mais, un musée ne suffit pas pour “résoudre les problèmes” d’une ville, pour qu’il rapporte ses fruits l’arrivée d’un musée devrait être accompagné d’une série d’autres infrastructures: des routes adaptées, améliorer les trottoirs, des panneaux de signalisation,… Ce projet s’inscrit dans une politique de rénovation urbanistique. Le projet prend sens si le quartier “le suit”. Cité des métiers, ULB, université

D’autre part, le BPS22 crée de l’emploi. De manière générale, si on se fie à la parabole des tuileries: “un euro investit dans la culture en rapporte deux”. Le tourisme qui se rend à Charleroi pour venir découvrir le musée dépense son argent dans les commerces locaux (restaurants de Charleroi, hôtels,etc). Sur un budget de 100euros, 85% sera réinvesti dans la région, car la quasi integralité des subventions sont redépensés dans les emplois.

 

Interview avec Denis Dargent

Un lieu de transitions

Denis Dargent est coordinateur de “Présence et action culturelles (PAC)” dans la région de Charleroi. PAC est un mouvement d’éducation permanente destiné à tout type de public (qui vise l’émancipation des publics par la culture). Cette année, la question sur laquelle se focalise le mouvement à Charleroi est la production alimentaire et l’agriculture.

“Comment expliquer aux gens que des pratiques alternatives existent pour produire et consommer de la nourriture?”

Le PAC a organisé trois semaines d’atelier au BPS22, à la fin du mois d’octobre. Sur le programme, une expo photo-débat nommée “Un monde indigeste”. Après s’être approprié les photos pendant une heure, les participants ont eu l’occasion de débattre ensemble sur les mode de consommations actuels.
Le choix de faire cet atelier au BPS22 est justifié par le fait qu’au PAC les questions sociales se posent également à travers l’art, ici donc: la photo. L’art contemporain, pour Denis Dargent, est une remise en question perpétuelle du monde dans lequel on vit. En ce sens, l’activité de PAC sur place le montre, le BPS 22 parvient à s’ouvrir aux acteurs et aux citoyens d’une ville en transition.

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