L’imaginaire collectif sur la ville de Charleroi renvoie souvent à l’époque florissante qu’elle a connue grâce à ses nombreuses industries. Les ouvriers et leur travail difficile sont les images qui viennent directement en tête. Mais qui étaient leurs femmes et qu’exerçaient-elles comme métier à l’époque ?
Les nombreuses industries de Charleroi ont créé son histoire : sidérurgie, verrerie, produits chimiques, constructions électriques et constructions mécaniques entre autres. Les hommes et ceux des communes avoisinantes, mais aussi des immigrés pour la majorité italiens et maghrébins, se sont rendus chaque jour dans ces usines depuis la Révolution de 1830 jusque dans les années 1960. Pendant ces années glorieuses, qui ont apporté un boom économique et ont permis à la ville de Charleroi de se développer, le rôle des hommes a été mis en avant ainsi que leurs conditions de travail et leur combat pour la reconnaissance et défense de leurs droits.
Il n’est pas difficile de trouver de la documentation à ce sujet et de parler de ces travailleurs avec n’importe quel Carolo. Mais qu’en était-il des femmes ?
Nous nous sommes posés différentes questions à leur sujet. Etaient-elles les « fantômes » de la ville ou avaient-elle aussi leur propre vie professionnelle ? Quelle était leur place dans le monde du travail ? Quelle était leur place au sein de la société ? Quelles évolutions ont-elle connues depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui ?
Retour quelques années en arrière, à travers les portraits quatre femmes.
« Dans les années 50, les femmes faisaient surtout le ménage »
Marie-Thérèse a 80 ans et a vécu toute sa vie dans la maison familiale, située à Gilly, une commune du Grand Charleroi.
Elle nous accueille chez elle, dans sa maison, et semble heureuse de pouvoir livrer sa vision sur la mutation qu’a connu et connait encore la ville de Charleroi, sa ville. Un récit parsemé d’anecdotes, d’une pointe de nostalgie, mais toujours dans la bonne humeur, avec le sourire.
Issue d’une famille nombreuse composée de cinq enfants, elle nous raconte que sa mère a travaillé durant sa jeunesse, mais a mis fin à sa carrière professionnelle après son mariage. « Comme une bonne partie des femmes à cette époque » ajoute l’octogénaire. Son père travaillait comme syndicat.
Très vite elle aida sa mère qui s’investissait auprès de sa paroisse tout en suivant son cursus scolaire. Une époque où encore une grande majorité des adultes travaillaient à l’usine, Charleroi constituant encore un grand bassin industriel du pays notamment au ACEC de Charleroi ( Ateliers de constructions électroniques de Charleroi).
Elle nous évoque avec un brin de nostalgie cette période, où « on allait à Charleroi pour faire les courses spéciales, comme à l’Innovation. C’était un événement. […] C’était l’occasion de mettre nos belles robes ».
Par la suite, Marie-Thérèse fût couturière puis suivit une formation en pédicure. Maintenant retraité depuis une vingtaine d’années, elle ne reconnait plus sa ville : « ce n’est plus ce que c’était maintenant ». En pleine mutation urbanistique, elle avoue ne s’y rendre que très rarement, « …comme toutes les personnes âgées ».
« Après la guerre, les femmes sont entrées à l’usine »
Jacqueline, 70 ans, n’est pas orignaire de Charleroi mais y vit depuis le début de sa carrière. Elle a travaillé et est toujours active au sein de l’association Vie féminine. Elle a donc suivi de près des jeunes femmes en recherche d’emploi surtout, mais également l’évolution du statut de la femme et de sa place dans le monde du travail.
Dans la cité carolo, la venue des industries a totalement changé la vie des habitants. Les femmes, elles, étaient soit femmes aux foyers, soit avaient réussi à trouver une place dans les usines. « Elles avaient l’avantage sur les hommes d’être plus dociles et habiles avec leurs doigts. Il y avait donc des postes spéciaux qu’elles seules pouvaient exercer. »
La guerre a également poussé les femmes à devoir travailler : manque de personnel pour faire tourner les entreprises et manque d’argent pour subvenir aux besoins de leur famille.
« Je trouvais ça normal que mon mari travaille et pas moi »
Christiane a 82 ans. Elle a travaillé de ses 16 à 19 ans en tant que vendeuse dans un magasin de chaussures. Elle s’est ensuite mariée et a eu son fils à 20 ans. Bénéficiant d’une situation confortable, « une belle villa dans la campagne ici à côté de Charleroi, avec un grand jardin », elle n’a pas ressenti le besoin de trouver un emploi par la suite. Ce n’est qu’en 1976 qu’elle a repris une librairie, un projet réalisé avec son second mari. En tout, elle n’aura eu qu’une courte vie professionnelle.
Nous avons rencontré Christiane à la Brasserie des Colonnades. Cet endroit était autrefois situé sur la Place Albert Ier, actuellement un des plus gros chantiers destiné à embellir le centre-ville. Nous l’avons abordé un peu par hasard, lorsqu’elle dégustait sa bière brune à l’heure de l’apéro, avec une cousine. C’est avec plaisir qu’elle a accepté de nous accorder de son temps, trois jours plus tard.
Ce qu’on retiendra d’elle ? Une femme coquette, qui marche la tête haute dans les rues de Charleroi, et qui retrouve ses copines chaque vendredi pour un petit resto : « Il faut bien se faire plaisir aussi. » Ce qui la tient en forme ? Elle est active dans des clubs de sport, de voyages et dans l’organisation de repas avec d’autres personnes âgées. « Il ne faut pas se ramollir ! Quand je vois certaines personnes, plus jeunes que moi, mon Dieu ! Je suis vraiment bien comparé à elles ! »
« J’arrive tous les jours au boulot avec le sourire »
Heleni, 60 ans, travaille depuis l’âge de 16 ans dans les galleries de l’Inno. Elle a débuté en tant que caissière chez Prix bas », magasin qui a été repris dans ces galeries par la suite. D’années en années, elle a voyagé entre différents rayons : « Tout me plaît, tant que je rencontre des gens. » Elle s’est finalement arrêtée à celui de la parfumerie, où elle est actuellement chef.
Le travail, c’est presque toute sa vie. Elle aime ce qu’elle fait et essaye de transmettre cet amour du métier aux jeunes recrues qu’elle voit arriver tous les jours dans « son » magasin. Elle est connue de tous ici, au même titre que le directeur de l’entreprise.
Entrée dans les syndicats dès son plus jeune âge, elle a insisté sur le fait qu’elle a passé des heures à défendre les travailleurs, leurs horaires, leurs salaires. « Mes journées ne s’arrêtaient pas à l’heure de fermeture du magasin. Je me rendais ensuite à des réunions syndicales, à des formations pour améliorer le service et l’organisation de notre travail, je rentrais tard chez moi. C’était un choix, je ne m’en suis jamais plaint. »
Ce qu’on retiendra d’elle ? Une combattante, tant au travail que dans sa vie privée. Mais surtout… Un récit de vie qui booste, qui nous donne le sourire aux lèvres, qui nous transmet son amour pour la vie. Et pourtant, c’est Heleni qui nous a remerciés de lui avoir accordé de notre temps pour lui poser toutes ces questions.