La ville de Charleroi compte sur l’arrivée de Quai 10 pour s’engouffrer dans la brèche du gaming. Pas seulement à des fins purement divertissantes mais bien avec un projet éducatif en fil rouge.
Toujours le plus relevé, l’ultime niveau de la partie lui donne bien du fil à retordre. Un dernier « boss » si coriace qu’il retarde d’une probable année le triomphe du Quai 10. Véritable hub artistique qui double le nombre de places du cinéma essayiste Le Parc (550 places), la plateforme mise, plus discrètement, sur un projet de gaming. Mis en terre sur les ruines de l’ancienne Banque Nationale, le gros-œuvre de 4 000 m², prévu à maturité en septembre 2014, s’embourbe dans sa phase végétative. Concept unique en Belgique, surfant sur la vague de la revalorisation urbaine, le flot d’arts numériques ambitionne d’inonder la ville basse et le Quai de Brabant.
Un enseignement critique au et par le jeu vidéo
Le jeu vidéo, premier outil culturel mondial, jouira d’une visibilité nouvelle. « C’est aujourd’hui un média à part entière », argumente Julien Annart, pressenti pour être le futur responsable du pôle. « Il pâtit encore d’un réel manque de reconnaissance ». Missionné par la commune, ce professeur de religion consacre ses trois années de détaché pédagogique à mettre sur pieds cette ambitieuse entreprise. Sans relâche, « à tel point qu’il n’a plus temps de jouer », il s’attèle à convaincre ses détracteurs des enjeux de l’usage d’un tel instrument. « Il présente un potentiel éducatif illimité », s’enthousiasme celui qui s’est passionné pour les jeux vidéos dès l’âge de huit ans. « L’implication ludique et émotionnelle est sans égal pour l’apprentissage ».
Affublé de l’étiquette d’addictif et d’incubateur de violence, malgré les études contradictoires, le jeu vidéo reste encore largement diabolisé. Sa légitimité dans cet emplacement voué à l’art fait l’objet de discorde au sein du cercle des décisionnaires. La vision de M. Annart, déplorant un système éducatif « trop normatif », l’astreint à ne se livrer qu’à demi-mot. Indigné « qu’on enseigne aux enfants l’indispensable mécanique des plaques tectoniques mais pas l’informatique », l’intéressé imagine néanmoins un enseignement critique au et par le jeu vidéo. « Sans qu’il ne soit question que cela ne remplace le rôle irremplaçable des professeurs ! » A condition d’inculquer les codes du milieu au préalable. « C’est un univers qui a son propre vocabulaire, sa propre grammaire ». Puits de connaissances dans le domaine, parfois qualifié « de geek ou d’adulescent », il énumère une kyrielle de gameplay aux vertus éducatives, persuadé qu’un bon produit englobe plusieurs disciplines. « En Norvège, un professeur a confié le soin à ses élèves d’inventer un jeu à choix multiples. Chaque décision devait être justifiée devant la classe. C’est faire de la philosophie inconsciente tout en travaillant en équipe ».
« Serious Game » autour du Big Bang
La réflexion a déjà accouché d’une expérimentation concrète dans les classes de l’Athénée Royal Vauban tout au long de l’année scolaire 2014/2015. Sous la houlette de Pierre Leblon et Francis Delooz, respectivement professeurs de géographie et de physique, les élèves de 6ème et 5ème ont échaffaudé un « Serious Game » autour du Big Bang destiné aux écoles primaires. « C’est un succès total », se réjouit Pierre Leblon. « C’est agréable de constater un tel investissement, volontaire, qui plus est sur le temps de midi ». Les retours des concepteurs comme des parents sont dithyrambiques. « C’est un processus nouveau qui pourrait avoir sa place dans une grille d’enseignement », pousse l’éducateur.
L’idée d’un ticket combiné film/animation ludique circule dans les tuyaux du futur Quai 10, tout comme l’organisation de séminaires thématiques mensuels variés. « Sur la convivialité ou la biographie par exemple. Il existe des jeux qui correspondent à n’importe qui », mentionne Julien Annart. En adéquation avec la charte de Quai 10, le pôle gaming ouvrira la voie à la création artistique, éventuellement avec l’aide de professionnels. « Tout est encore à inventer », se délecte déjà le principal artisan.
« Décloisonner certains esprits »
La portée du complexe, par son originalité, devrait offrir une publicité accrue à cette initiative numérique. Et pas seulement dans la périphérie carolo. « Cela va contribuer au rayonnement de la ville », confirme Denis Dargent, coordinateur de l’antenne régionale Présence et Action Culturelles à Charleroi. Quai 10 « permettra de décloisonner certains esprits, corrobore Pascal Verlhuts, attaché culturel du cabinet Magnette (PS), débarrassé du scepticisme originel. Sa force de frappe attirera les communautés de gamers, plutôt enclines à se déplacer ». Et l’administration avance avec de la suite dans les idées. Les prémisses d’un Centre national du gaming à Charleroi ? « Pour l’instant, il est encore trop tôt pour envisager cela », poursuit l’élu qui anticipe de futurs partenariats étrangers. A l’instar des mastodontes Google et Sony qui ne restent pas insensibles à une éventuelle aire de testing. Plus répandue en Flandres, l’expérience virtuelle espère s’installer durablement dans la plus grande cité wallonne. A Charleroi, la partie ne fait que commencer.