Le nouveau centre commercial de la ville de Charleroi, « Rive Gauche », devrait voir le jour en octobre 2016. Pour l’instant, un trou béant, profond d’une quinzaine de mètres, a remplacé l’espace dit « Les Colonnades », lieu culte de la commune. L’importance de ces travaux d’envergure rend le quotidien des petits commerçants plutôt difficile à vivre. Il n’en est pas moins porteur d’un horizon plus souriant.
« Ville 2 », le complexe commercial situé à la lisière de Charleroi, avait déjà bien accéléré la désertification des commerces du centre ville. Mais les travaux de « Rive Gauche » débutés en septembre 2013 n’ont fait qu’accentuer le phénomène. Ils auraient même dû démarrer deux ans plus tôt, en 2011, si plusieurs commerçants de la place Albert 1er, derrière « Les Colonnades », n’avaient pas lancé une procédure de recours à l’encontre du promoteur néerlandais.
Le projet de ce dernier avait été accepté en 2008 par la Ville de Charleroi et plusieurs commerces avaient dès lors été rachetés pour être rasés. Les commerçants avaient donc trois ans pour pouvoir déménager sans précipitation.
Au départ, les commerces du centre-ville ne voyaient pas d’un bon œil la venue d’un tel centre commercial mais à présent, ceux qui sont restés sont impatients de voir la fin du chantier.
« Dans la vie, il faut pouvoir avancer »
Entre les grues et la poussière, la façade blanche de la librairie « Molière » reste de marbre. Ce lieu réputé du secteur de l’édition, à l’ambiance calme et reposante, contraste avec le bruit des marteaux-piqueurs et autres foreuses.
Comme l’explique Florence, la responsable communication de la libraire « Molière », un manque d’informations est ressenti par certains commerçants. En réalité, à l’heure actuelle, les gérants du projet ignorent encore tout des magasins qui seront présents dans « Rive Gauche ». La liste sera, a priori, disponible en août 2015, selon Nicolas Beaussillon, responsable commercial du futur complexe.
Ne plus séparer les quartiers
Non loin de là, le président de l’Association des commerçants de Charleroi, Paul Catoir, parle du projet comme d’un renouveau positif pour la ville et ses commerçants, mais il reconnaît qu’il n’en a pas toujours été ainsi.
L’architecte responsable du centre commercial, Rudy Ricciotti, a tenté de faire en sorte de ne plus séparer les quartiers de ce que l’on appelle la ville haute et la ville basse. C’est un élément essentiel pour les commerces du centre. « Ici, on s’est bien battu pour ça, explique Paul Catoir. On a demandé d’aménager plus de sorties piétonnes ou bien d’avoir 900 places de parking au lieu de 600 comme c’était prévu initialement. » Ces passages permettraient aux personnes venant visiter le centre commercial de sortir dans les petites rues adjacentes où se trouvent les magasins de Charleroi et vice-versa. « On a passé beaucoup de temps à répondre à l’enquête publique afin de pouvoir y intégrer nos suggestions », raconte le président de l’Association des commerçants. Est-ce là le signe de la volonté commune de la Ville et du promoteur d’organiser une concertation avec les habitants à grande échelle ? « Il faut quand même se tenir informé, nuance Paul Catoir, car ils ne viennent pas vous chercher. » Cela n’a toutefois pas empêché les recours…
Le plus important, aux yeux de notre interlocuteur, est qu’il n’y ait pas eu de faillites. Les commerçants concernés ont eu leur renom en 2008 et sont allés remonter leur activité ailleurs. « Ceux qui restent encore dans le centre-ville sont des propriétaires comme moi, qui misent sur la future plus-value du bâtiment. Pour l’instant, c’est impossible de vendre, sauf avec une grosse perte. »
Période creuse
L’enjeu collectif numéro 1 lié aux transformations en cours est l’emploi. « La période de travaux est dure, même pour la librairie Molière : chez eux, quand une fille part, ils ne la remplacent pas ! Ici, moi-même, avant, j’avais quatre ouvriers qui travaillaient pour mon magasin de photo. Maintenant, je n’ai plus qu’une stagiaire que je ne dois pas payer. »
Dans les rues à proximité du chantier, les vitrines sont vides et les affiches « A louer » envahissent les façades. Pour autant, la plupart des commerçants « résistants » voient cette situation comme un mauvais moment à passer. Paul Catoir se fend d’une métaphore à ce sujet : « Quand on a une carie, il faut aller chez le dentiste même si on n’aime pas ça. Si on ne fait rien, ce sera pire de toute façon ! »
Le chantier fait fuir la clientèle des petits commerces du centre de Charleroi au point que, pour certains, la situation devient réellement compliquée. « Moi par exemple, confie Paul Catoir, si je veux maintenir mon bénéfice, je ne peux plus me verser un salaire et je dois vivre sur l’argent que j’avais économisé pour ma pension. D’ailleurs c’est simple, je n’ai plus de femme à journée… C’est mon épouse qui nettoie. »
En somme, ce que vit Charleroi n’est pas noir ou blanc, « c’est gris », comme le dit à sa façon le porte-parole des commerçants.
Axelle Verstraeten, Aline Jacobs, Tiffany Sales et Eloïse D’Hollander