Kédis ?

Le 13 mai 2015 - par Anne Barrès

« Sur quoi voulez-vous que Charleroi mise ? Il n’y a même pas d’université. A part la culture, il n’y a rien. » Ces mots, volés de la bouche d’une employée du cinéma Le Parc, résument le pari dans lequel la ville s’est lancée : faire de la culture un élément central dans le grand plan de reconstruction économique lancé en 2009.

Carollywood VS Le Parc

Carollywood VS Le Parc

Cinépointcom VS Le Parc

La ville a toujours misé sur les cinémas. Aujourd’hui, il y en a deux : Le Parc, petit complexe connu pour sa programmation privilégiant les films d’auteur, où l’on peut discuter de ce que l’on a vu. L’autre est le CinéPointCom, antre du blockbuster, qui est vite devenu le lieu de sortie numéro un de l’ancienne ville industrielle. Ces deux protagonistes devront bientôt compter sur le Quai 10, qui mélangera cinéma d’art & d’essai, jeux vidéos et images d’animation.

Mais cette infrastructure a-t-elle vraiment sa place à Charleroi ?

Le temps des sorties familiales

 

Anciens cinémas de Charleroi - Le Coliseum

Anciens cinémas de Charleroi – Le Coliseum

Anciens cinémas de Charleroi - Rue de la Montagne

Anciens cinémas de Charleroi – Rue de la Montagne

Ces salles obscures ont disparu. Une partie de celles-ci appartenait à un même propriétaire, qui a décidé de tout miser sur le CinéPointCom. Les habitants utilisent son ancien nom : Carollywood. Sa notoriété est telle « que tout le monde allait voir les ‘‘Harry Potter’’ là, alors que les plus petits cinémas, asphyxiés par un chiffre d’affaires sur la pente glissante, le proposaient aussi à leur carte », renchérit Lise.

Le CinéPointCom et Le Parc détiennent le monopole, aujourd’hui. « Si on schématise la ville de Charleroi avant les grands travaux, il y avait le quartier de la gare, le quartier des prostituées et le quartier des drogues. Les petits cinémas étaient imbriqués là-dedans », rappelle Iris, 26 ans, sur le ton de la confidence. Ces quartiers ont vu leur visage tuméfié par la crise et les difficultés financières. « A un moment, le Carollywood était devenu le seul endroit sûr pour beaucoup de parents », ajoute Lise, « et pas seulement à cause de la réputation desdits quartiers. » L’affaire Dutroux, datant de 1996 à Marcinelle, a provoqué un sentiment de méfiance dans les familles carolorégiennes.

Le projet Phénix

Sur cette toile de fond, la reconversion de Charleroi a réellement débuté, à l’échelle globale, en 2009, mais était déjà sur le papier avant que Paul Magnette (PS) n’en prenne les rennes. Les multiples projets mis sur la table sont ambitieux et entendent redessiner la carte du centre-ville de façon intégrée. Le projet Phénix en est un. Son but est de « requalifier le centre », comme dit dans la brochure officielle « Charleroi-Métropole ».

Financé à hauteur de 55 millions d’euros par l’Union européenne, la Région wallonne et la Ville, il englobe quelques grands travaux de rénovation. Parmi eux : « Quai 10″. Son autre nom : le « Quai de l’Image ».

Bourgmestre depuis 2013, Paul Magnette a décidé de faire de la culture sa première attribution. Là ou se trouvaient les locaux de l’ancienne Banque nationale de Belgique, le Quai 10 sera inauguré en novembre 2015, trois mois plus tard que prévu. Son immense complexe est dédié au visuel : il accueillera quatre nouvelles salles de cinéma mais pas seulement. Sur le site officiel déjà accessible, il est vendu comme l’homologue du ‘‘Centre national du Cinéma’’ français. Financé à 16 millions d’euros par l’Europe, corseté dans une communication millimétrée, le Quai se veut de son temps, promettant « d’ouvrir et de multiplier les liens que le cinéma tisse avec les nouveaux médias et les autres formes d’expression artistique ».

Un incubateur de créativité

Son réel objectif ? « Etre un incubateur de créativité dans les domaines qui sont les nôtres », explique Michail Bakolas, propriétaire du cinéma Le Parc et du futur Quai 10. Et d’ajouter : « Ça sera bien plus qu’un cinéma ! » Centre de culture contemporain, l’infrastructure mêlera cinéma d’art & d’essai à toute une série d’activités pédagogiques autour du jeu vidéo. Un espace d’exposition tourné vers le numérique, ainsi qu’une résidence d’artistes trouveront également leur place dans cette cité de l’audiovisuel. Des stages seront organisés à destination de tous les intéressés. Enfin, une grande brasserie accueillera cinéphiles, mélomanes et gamers en tous genres.

Habitué à proposer de l’art & essai, Michail Bakolas est convaincu que le public sera au rendez-vous : « Je pense qu’on n’aura pas de grosses difficultés pour accueillir un maximum de monde. Peut-être au-delà des 120.000. » Tout du moins dans deux ans, car d’ici là, un « petit nuage » assombrira l’ouverture de l’infrastructure culturelle. « Les travaux vont bon train à Charleroi. Juste à l’arrière de notre Quai 10, il y a un énorme trou : celui du gros centre commercial en construction de la ville basse. Cela risque évidemment d’handicaper le chaland qui voudra se rendre au Quai de l’image », se désole le propriétaire. Même s’il admet volontiers que le prochain concurrent de Ville 2 ne sera que bénéfique pour son établissement.

Une opposition sceptique

Du côté de l’opposition politique, Isabelle Meerhaeghe, co-secrétaire régionale d’Ecolo Charleroi, est déçue de la tournure que le programme a pris dans les faits. « Tel qu’imaginé au départ, ce projet était très beau. Aujourd’hui et après tout ce temps, l’aspect collaboratif s’est quelque peu effrité. » Elle regrette un certain manque d’ambition, notamment pour rendre l’endroit plus convivial. « Ceux qui sont au pouvoir n’ont pas fait leur job jusqu’au bout. »

En misant sur ce nouveau complexe, Charleroi joue gros. Enjeu économique, politique et citoyen, le Quai 10 n’appellera pas le même public que le CinéPointCom. Axé sur la variété, la diversité et la nouveauté, il pourrait permettre à l’ancienne cité minière de prendre la relève, voire, qui sait, de voler la vedette à Mons 2015.

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