Hier soir, le Pink Screens Festival, événement bruxellois dédié au film queer, projetait le documentaire britannique Chem Sex, réalisé en 2015 par William Fairman et Max Gogarty. Le film questionne une pratique largement inconnue du grand public, mais qui commence à poser un véritable problème sanitaire chez les homosexuels.
Le chem sex, c’est quoi ?
Venu de la communauté gay de Grande-Bretagne, le chem sex (sexe chimique) est une pratique qui consiste à mélanger la prise de drogues et les relations sexuelles, afin de faire tomber les inhibitions, d’augmenter les performances et de décupler le plaisir sexuel. Au programme : cocaïne, méphédrone, crystal mets et la favorite, le GHB. Le GHB, ou G, a un effet euphorisant, relaxant, et surtout, désinhibant. Le cocktail parfait pour une séance de chem sex réussie.
Le procédé est toujours le même : des hommes, gays ou bisexuels, se rencontrent via une application (Grindr étant de loin la plus populaire au sein du milieu). Des couples ou des groupes d’un soir se forment avec un but commun : se faire un slam (argot qui signifie se faire une injection de substance en intraveineuse) et avoir des relations sexuelles. La pratique est tellement répandue, qu’en quelques heures, voire en quelques dizaines de minutes, il est possible de trouver des partenaires. Les séances durent parfois des week-ends entiers, alternant moments de détente (l’occasion de se refaire un slam) et moments d’activité sexuelle. Rien de plus, rien de moins. Les hommes rencontrés via ces séances sont considérés comme des partenaires sexuels d’un soir, des corps presque anonymes qu’on utilise tour à tour pour se satisfaire. La dimension affective, voire amoureuse, du sexe est totalement exclue de la pratique.
Un documentaire qui explore les limites du chem sex
Hier, 21h30 au Cinéma Nova. La salle est bondée, on a dû recaler certaines personnes à l’entrée. Le public est majoritairement composé d’hommes de moins de 35 ans. Quelques rires éclatent parfois pendant la projection, lorsqu’on suit le quotidien de cette sous-culture gay de Londres, ces hommes, accros au chem sex qui n’hésitent pas à se droguer et à montrer leurs ébats devant la caméra. Parfois drôles, parfois absurdes, parfois durs, les témoignages n’en sont pas pour le moins dramatiques. À certains moments, le ton du documentaire devient larmoyant à l’excès, mais le but est atteint : on est réellement touché par la détresse psychologique de ces hommes qui se voient happés dans une spirale d’addictions. Ils réalisent trop tard que le chem sex, qui était au départ un moyen de prendre du bon temps, contrôle peu à peu tous les aspects de leurs vies et menace de manière très concrète leur santé.
A priori, pouvoir vivre sa sexualité de manière décomplexée, surtout lorsqu’on fait partie d’une minorité qui a longtemps été obligée de se cacher, est plutôt une victoire pour la communauté gay. Certains hommes refusent le modèle de la famille ou du couple traditionnel, et décident de mener une vie basée sur l’hédonisme. Pourtant, ce n’est pas si simple. Le chem sex regroupe deux pratiques très addictives, qui sont en réalité des échappatoires à un quotidien parfois morne ou étouffant. Il résonne souvent en écho d’un traumatisme enfoui : une blessure personnelle, ou plus fréquemment, un sentiment d’isolement induit par l’orientation sexuelle. Le chem sex reflète aussi l’urgence d’appartenir à un groupe, un besoin vital d’affection, d’ailleurs peu comblé.
Grindr, addiction et VIH
Les limites de cette pratique apparaissent rapidement : l’addiction s’installe très vite et, bientôt, certains hommes se retrouvent à prendre part à des orgies chaque week-end. Au bout d’un moment, ils sont incapables de dissocier la prise de drogues de l’activité sexuelle, et inversémment. Ils se retrouvent prisonniers d’un cycle sans fin où tout retour à une sexualité sobre est inenvisageable, car elle paraît trop fade.
Il y a aussi les risques sanitaires : la prise de drogues en elle-même, surtout lorsque les doses s’accumulent au cours de marathons sexuels de plusieurs jours. Et le VIH qui plane au-dessus de la scène comme un oiseau de mauvais augure : les seringues qu’on se partage, les rapports qui sont le plus souvent bareback (non protégés)… les occasions d’être contaminé lorsqu’on pratique le chem sex ne manquent pas. Un grand nombre de pratiquants sont séropositifs, les autres consentent à prendre le risque. Indéniablement, le virus gagne de l’ampleur au sein de cette sous-culture gay, malgré tous les dispositifs de prévention mis en place.
Un débat organisé ce vendredi, pour aller plus loin
Aujourd’hui, le phénomène pose vraiment question, même en Belgique, où le nombre d’adeptes n’est pas encore connu, mais où il y a une véritable demande d’information sur le sujet. Le succès de la projection d’hier soir en témoigne. Afin de ne pas laisser les nombreuses interrogations soulevées par le documentaire en suspens, le Pink Screens Festival, en partenariat avec les association Genres d’à côté et Exaequo, a décidé d’organiser ce vendredi un débat/conférence sur le chem sex.
Quelles seront les grandes questions qui seront abordées ? Rémi Devienne, organisateur du débat, nous éclaire. Le premier grand axe de discussion portera sur le rôle que jouent les applications de rencontre dans ce phénomène : «Internet a radicalement changé la façon de rencontrer et a permis de multiplier les partenaires. Le chem sex concerne un nombre exponentiel de gays. Il y a toujours eu des homosexuels qui consommaient des psychotropes, mais pas dans les proportions actuelles ». Le débat cherchera aussi à savoir pourquoi cette pratique touche principalement les gays, et très peu les autres orientations sexuelles : « Les hommes sont plus attirés par la notion de performance que les femmes, et ce, y compris dans leur sexualité. Les drogues permettent d’atteindre de meilleures performances. Il y a peut-être aussi, chez les gays, une volonté d’explorer les limites de leur sexualité et de se frotter à une certaine forme de danger. »
Débat/conférence – Gueulante – CHEM SEX
Le vendredi 18 novembre 2016 à 19h, au cinéma NOVA