Il est 9 heures du matin. Le premier client, un Tunisien, brun, la quarantaine, veste en cuir et barbe courte, franchit la porte d’entrée du salon de coiffure pour hommes, installé dans le sud de Bruxelles. Il s’installe dans un fauteuil artisanal, avec un piètement renforcé par une entretoise. Devant lui, une vieille table ronde en bois accueille de vieux magazines et une théière en fer fondu. Des posters de vedettes musicales et du cinéma sont accrochés sur les murs, ainsi qu’un tableau religieux sur lequel est écrit un verset du Coran. Entrer dans ce salon, c’est faire un saut dans un décor typique des salons des villes marocaines comme Rabat, d’où je viens. Une atmosphère orientale renforcée par la langue et la musique arabes.
Les minutes s’égrainent. Le client tunisien attend toujours son coiffeur préféré, Nabil, 37 ans, qui est sur le point de terminer son petit-déjeuner marocain. « Nabil, fais vite ! Je ne vais pas passer toute la journée ici, j’ai d’autres choses à faire frangin. » Nabil se lave les mains, met son tablier noir et se dirige vers le client avec le sourire. « Ça va frangin ? Dis-moi, tu veux que je te fasse la même coupe que d’habitude ou tu préfères changer de look ? » plaisante-t-il. Le Tunisien affirme qu’il veut garder le même style de cheveux : un joli dégradé, accompagné de motifs.
Nabil s’exécute. Avec beaucoup de précision, il glisse le peigne dans la partie supérieure de la chevelure du client, tout en coupant les pointes avec le ciseau qu’il porte dans sa main droite. Le mouvement de ses doigts est très délicat, comme s’il jouait d’un instrument de musique.
“Ça fait sept ans que je vis à Bruxelles, mais j’ai toujours peur qu’un jour, je sois renvoyé chez moi.” Nabil
Nabil a appris l’art de la coiffure dès son plus jeune âge. Guidé par sa passion, il obtient son diplôme à Meknès, au Maroc. À l’âge de 30 ans, il se marie avec une Belgo-Marocaine vivant à Bruxelles. Il obtient son visa et met les pieds dans la capitale durant l’été 2011. Trois mois plus tard, Nabil finit par divorcer. Le début de son parcours illégal en Belgique.
Cela ne l’empêche pas de travailler et de s’intégrer dans le système belge. « Même si tout était nouveau pour moi, j’étais déterminé à trouver un emploi pour couvrir les frais de logement et d’alimentation », explique Nabil. Durant les deux premières années, le jeune coiffeur loge avec trois autres personnes dans un petit studio de quelques mètres carrés. Il trouve son premier job dans un salon de coiffure dont le propriétaire est de nationalité marocaine. Trois semaines plus tard, il quitte ce salon pour travailler dans un autre où il sera mieux payé. « Ça fait des années que je change de lieu de travail, mais le métier reste le même. J’ai toujours travaillé chez des Arabes parce qu’ils sont les seuls qui acceptent que je n’ai pas de papiers, et je leur en suis reconnaissant. »
Aujourd’hui, Nabil travaille toujours au noir. Il perçoit 1.400 euros par mois mais ne reçoit pas de fiche de paie. Ce qui lui pose plusieurs problèmes. « Je suis satisfait de mon salaire. C’est vrai que j’ai un logement… mais ça reste un travail au noir », déclare Nabil. Le jeune coiffeur vit dans l’angoisse permanente qu’il soit un jour viré du salon, sans pouvoir bénéficier de la protection sociale. De plus, étant sans-papier, la menace de l’expulsion du territoire se ferait plus oppressante. “Ça fait sept ans que je vis à Bruxelles, mais j’ai toujours peur qu’un jour, je sois renvoyé chez moi.”
« En Algérie, je n’avais pas de futur, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de prendre ce risque. Il vaut mieux mourir en essayant que mourir en ne faisant rien. » Oussama
Deux collègues de Nabil vivent les mêmes craintes. Amine, un Marocain de 40 ans, est arrivé il y a dix ans, dans le cadre d’un contrat de travail de six mois. Il n’est pas retourné chez lui après l’expiration de son visa. « Dès que j’ai mis les pieds à Bruxelles, j’ai beaucoup apprécié le travail et le style de vie ici. Du coup, j’ai décidé de rester illégalement », révèle-t-il. Le troisième immigré s’appelle Oussama. Avant de parvenir à Bruxelles sans visa il y a deux ans, l’Algérien est passé par la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche, puis par neuf autres pays. « En Algérie, je n’avais pas de futur, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de prendre ce risque. Il vaut mieux mourir en essayant que mourir en ne faisant rien. »
La coiffure a réuni ces trois jeunes talentueux dans un salon. Chacun a son histoire, ses préoccupations et ses angoisses. En ce qui concerne leur avenir, ils espèrent pouvoir se marier avec une femme belge, afin de pouvoir enfin sortir sans crainte.
Pourquoi j’ai réalisé ce sujet
Étudiant à l’ISIC au Maroc et étant actuellement en formation à l’IHECS dans le cadre d’un partenariat, j’ai été curieux de connaître ce qui se cache réellement derrière le sourire des coiffeurs sans-papiers maghrébins qui travaillent, mais qui n’ont toujours pas assuré leur avenir. Comment vivent-ils ? Comment gèrent-ils ce sentiment d’insécurité et d’instabilité ? Ce sont les questions qui m’ont poussé à aller à leur rencontre à Bruxelles.