Ce dimanche 14 octobre, les citoyens belges sont appelés à voter pour les élections communales et provinciales. Selon les chiffres du Service Public Fédéral Intérieur, 693.873 jeunes voteront pour la première fois. L’occasion pour nous de questionner les relations de ces primo-votants à la politique.
Les Belges doivent voter ce dimanche pour renouveler leurs conseils et collèges communaux et provinciaux pour un mandat de six ans. À l’heure actuelle, le choix des électeurs qui effectueront leurs premiers pas dans l’isoloir reste encore indécis. Ces primo-votants auront pourtant un rôle primordial car ils représentent 8,53% des électeurs. La raison de cette proportion inédite est simple : quatre ans, quatre mois et vingt jours sont passés depuis le dernier scrutin. À cette époque, les plus jeunes d’entre eux n’avaient que treize ans. Les Belges n’avaient pas connu de période aussi longue sans se rendre aux urnes depuis 1945.
Vu le manque d’études sur les liens entre les jeunes et la politique, nous nous sommes rendues dans différents endroits de Bruxelles pour sonder le ressenti des primo-votants vis-à-vis des élections. « Te sens-tu concerné par les élections ? », « En connais-tu le but ? », « Sais-tu déjà pour qui voter ? »,« Sais-tu comment ça se passe dans l’isoloir ? »… Autant de questions que nous avons posées à treize jeunes adultes, âgés de 18 à 21 ans et issus de différentes communes de la Capitale.
Nous avons exposé ces témoignages à l’expertise de Régis Dandoy, Docteur en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et chercheur au centre de politique locale à l’Université de Gand, afin d’éclaircir la situation. Selon le politologue, il est difficile de savoir si les primo-votants manquent d’intérêt vis-à-vis de la politique ou s’ils manquent simplement d’information. « On découvrira tout cela au lendemain des élections. Ce sera certainement un cocktail explosif des deux. »
De nombreux primo-votants déplorent le manque de transparence des politiques. Francesca, 19 ans, n’aime pas dépendre de l’avis de son entourage pour effectuer son choix. « Faire le mouton » parce que les partis politiques ne font pas leur « taff » la dérange. Pourtant, l’ère digitale permet un accès rapide aux renseignements, rétorque le politologue. « L’information est disponible mais il faut être volontaire et proactif pour la chercher. Les jeunes ne sont pas moins informés que leurs aînés d’il y a 20 ans. Les ressources sont à leur disposition. »
« Les jeunes qui se présentent actuellement sont des candidats alibis »
Une politique trop arriérée ?
Comme ces jeunes Bruxellois, le chercheur estime que la politique est faite par et pour des personnes plus âgées. « Ils (les politiciens, NDLR) sont cantonnés dans les méthodes traditionnelles : les affiches, le porte-à-porte, l’achat d’espaces publicitaires sur Facebook… Ce n’est pas comme ça qu’ils arriveront à atteindre les jeunes. » « Les partis investissent les réseaux sociaux, tels que Twitter, Facebook et Instagram, afin de séduire la jeunesse mais en suivant des méthodes qui ne correspondent plus à cette génération », analyse le politologue. « Facebook est, de nos jours, utilisé par les 30-40 ans, voire plus. Comparativement à il y a six ans, ce n’est plus une manière de toucher les jeunes. Il faut diversifier les modes de campagne. Les candidats et les partis auraient pu se rendre dans des environnements plus propices aux jeunes (lieux de sortie, d’activité…). Ce qu’ils n’ont pas fait. »
Vu que la moyenne d’âge au sein des listes électorales reste relativement élevée, les partis ont également décidé d’engager des jeunes candidats afin de récolter les voix des primo-votants. Une stratégie qui n’est pas laissée au hasard. « Les jeunes qui se présentent actuellement sont des candidats alibis. Ce ne sont pas des têtes de liste, ils ne sont pas dans les premiers candidats », explique Régis Dandoy.
« Il faut sensibiliser les jeunes, dès l’école secondaire ou primaire »
L’influence du milieu social
Selon l’expert, l’opinion des parents et le milieu social exercent une influence significative sur le premier scrutin. « Tout n’est pas fait pour que le jeune de 18 ans ait les ressources pour voter de manière informée. Le poids de la famille et de l’entourage est donc très important par rapport à ce vote. »
Grâce, 20 ans, s’est toujours tenue informée pour se forger sa propre opinion mais elle reste toutefois persuadée que sa famille aura une forte influence sur son choix. Anaïs et Colin pensent, eux, n’accorder aucune importance à la politique car leurs proches ne s’y intéressent pas du tout. C’est d’un rire gêné que le jeune homme nous avoue qu’il ne sait absolument pas à quoi ressemble un bureau de vote.
Monsieur Dandoy regrette ce saut tardif dans l‘inconnu : « Ces primo-votants découvrent ce qu’est un isoloir, un bulletin de vote et toutes les procédures au moment de voter. Il faudrait leur apprendre la politique et la démocratie bien avant 18 ans ». Selon lui, c’est la responsabilité de l’État et du système éducatif. « Il faut sensibiliser les jeunes, dès l’école secondaire ou primaire, aux institutions publiques, au civisme, à tous leurs droits et obligations en tant que citoyens. »
Plus qu’un simple scrutin communal…
Le scrutin de ce dimanche dissimule un autre enjeu : il permettra en effet de séduire des jeunes en vue des prochaines élections régionales et fédérales. Le politologue souligne l’importance du premier vote. « C’est pour cela que les partis se focalisent énormément sur les nouveaux électeurs. Ils savent qu’il y a une tendance à la fidélisation, à voter pour le même parti pour les scrutins à venir. De plus, une mauvaise expérience pour le premier vote peut avoir des répercussions pour d’autres élections. »
Régis Dandoy s’inquiète pour l’avenir de la politique, à l’heure où aucune mesure sérieuse n’est prise pour éviter un désintérêt total de la part des jeunes. « S’il n’y a pas un choix public clair d’investir dans l’information et de faire des campagnes de sensibilisation par rapport à l’importance des élections, je suis relativement pessimiste en ce qui concerne l’engagement et l’investissement des jeunes en politique à l’avenir. »
« S’informer via notre entourage et via les tracts ne suffit pas »
Concrètement, quelles sont les solutions?
Plusieurs solutions s’offrent aux primo-votants désireux d’affiner leurs choix. Elles sont souvent adaptées à ce jeune public, à l’image des cours et des journées de sensibilisation organisés dans certaines écoles. L’Université catholique de Louvain (UCL) à Mons a, par exemple, proposé aux écoles de la région un cours d’introduction à la politique pour parler des communales. Des bureaux de vote factices ont également été mis sur pied et plus de 650 électeurs s’y sont essayés.
Certains sites Internet procurent également aux futurs électeurs des informations sur les campagnes électorales et les candidats. Le site du centre bruxellois francophone d’information des jeunes fournit, par exemple, des détails pratiques sur le processus et organise des tests électoraux en ligne.
Un autre projet semble capter l’attention des primo-votants que nous avons rencontrés: la plateforme Make Your Own Choice (MYOC). « J’ai utilisé un site, c’est MYOC. Je trouve qu’il est assez pratique car il nous permet de chercher les informations sur notre commune et de ne pas juste écouter ce que nous disent nos parents », nous a fait savoir Estelle. « S’informer via notre entourage et via les tracts ne suffit pas. Je suis contente d’avoir trouvé ce site, je l’ai directement conseillé à mes amis. » Nous avons rencontré la cofondatrice de cette initiative citoyenne, Maude Lebon, 28 ans.
À vous de voter informé !
Alexandra Ferette & Théa Jacquet