16
Avr
2015

Série de portraits sur la thématique de l’exil : #4 La citoyenne du monde

Série de portraits sur la thématique de l’exil : #4 La citoyenne du monde

16 Avr
2015

PORTRAIT. Construire son identité entre Beyrouth et Bruxelles

Hélène est photographe. Ses photos sont floues, instables. Elles parlent de la difficile identité des choses. Hélène est Libanaise. « Libanaise et pas Albanaise. Et aucun lien avec les Talibans. » Elle dit ça « parce qu’il y a souvent une petite confusion ».

Des études de photographie et de cinématographie ont aidé cette jeune femme à la peau mate, aux yeux sombres et aux cheveux d’ébène à exprimer, extérioriser et accepter son déracinement.

Avant de vivre à Bruxelles, Hélène a vécu ses douze premières années au Liban, dans le petit village de Bickfaya, au nord de Beyrouth dans le Mont-Liban. L’histoire de l’exil d’Hélène commence quand son père Charbel quitte pour la première fois le pays pour la Belgique, à la conquête de l’Eldorado occidental. A l’époque, la situation du pays se dégrade et le travail commence à manquer. Hélène n’a alors qu’un an.

Papa chocolat

Au fil des années et des conflits, les séjours de son père en Belgique s’allongent. De quinze jours, ils passent à un mois et de trois mois à un an. L’impatience et le besoin de retrouver son père (et la valise remplie de chocolat belge) éveillent en l’enfant qu’elle était des émotions très contradictoires, des sentiments partagés. Elle en garde toutes sortes de souvenirs : de très mauvais comme de très bons et de très beaux.

Et puis, avec le temps, le manque du père en exil devient une situation presque normale. « On était triste de le voir à chaque fois repartir, mais c’était une habitude. C’était dur mais, en même temps, nous n’étions pas les seuls enfants dans ce cas-là. Toutes les familles au Liban ont un des leurs en exil. »

“Vacances” à Ixelles

A la fin des années 90, la vie d’Hélène bascule quand, à contrecœur, sa mère décide de quitter le Liban en guerre, occupé par les Syriens, pour rejoindre la Belgique avec ses trois enfants. Ils arrivent à Bruxelles le 28 août 1991. La petite fille parfaite bilingue arabe/français continue sa scolarité à l’école n°5 à Ixelles. Au début, c’est comme s’ils étaient « juste » partis en vacances.

Si elle a retrouvé un père, le manque prend très vite une autre forme. « Les premiers mois, le Liban nous manquait mais nous étions encore sous l’excitation. Les communications téléphoniques étaient très rares, les lignes étaient souvent coupées. Nous avons dû trouver un moyen pour communiquer avec la famille restée au pays et nous raconter notre quotidien respectif. Chaque soir, nous enregistrions une à cinq minutes de nos journées sur une K7 audio, et dès qu’un ami de mon père partait au Liban, il la prenait, la donnait à notre famille et il nous en ramenait une de chez eux, on savait alors tout d’eux… un peu en décalé, mais c’était génial et réconfortant d’entendre leurs voix. »

Avec le temps, s’est ajouté au manque le sentiment d’abandon. « J’ai eu pour ma part l’impression d’avoir abandonné les miens. J’avais cette sensation que le temps s’était arrêté au moment des adieux. Et j’en voulais à mes parents, c’était leur choix, pas le mien. »

Belge malgré elle

Jusqu’à 20 ans, Hélène ne s’est absolument pas intéressée à la culture belge et à son histoire. « C’était comme un déni de ce que je vivais, comme si je n’acceptais pas d’être là. » Ses réactions sont encore vives aujourd’hui et ses sentiments toujours exacerbés dès que « l’on touche au Liban » ou au fait qu’elle est Libanaise. Et le manque, aussi, est toujours là : « Aujourd’hui, quand je suis en Belgique, le Liban me manque et quand je retourne au Liban, au bout de quelques jours, c’est la Belgique qui me manque. »

Elle épousera en avril prochain Abédine, originaire de Bosnie-Herzégovine, « un jeune homme qui a vécu la même enfance et à dû aussi s’exiler de son pays d’origine. » Même s’ils sont culturellement différents, ce vécu et ce ressenti semblables les a rapprochés. Abédine comprend mieux que quiconque pourquoi, quand retentit le bruit sec d’un ballon qui éclate à la fête d’anniversaire de ses neveux, Hélène se bouche les oreilles et sent sourdre en elle une peur enfuie depuis l’enfance.

Il n’y aura pas de ballons blancs pour décorer la salle de son mariage de peur qu’ils n’éclatent, mais elle dansera au son de l’accordéon de l’oncle d’Abédine, qui viendra spécialement en Belgique pour marier son neveu.

Portrait réalisé par Romane Verleyen

 

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