Derrière les images des masses migratoires qui traversent des pays entiers pour atteindre l’Europe, il y a des visages et des histoires. Cette singularité des migrants est mise en lumière par la psychanalyste et photographe Coralie Vankerkhoven dans son exposition « Kaboul, Mossoul, Alep, Bruxelles ». Elle nous parle de son expérience, de ses rencontres et des difficultés auxquelles elle a fait face tout au long de l’aventure.
Qu’est-ce qui vous a poussée à développer ce projet ?
Le déclenchement, c’est l’image véhiculée sur les migrants dans les médias, en commençant par celle du parc Maximilien. Et puis il y a eu l’image du petit Aylan Kurdi sur la plage qui a un peu éveillé les consciences. En tant que mère, ça m’a fortement touchée. Le Net aussi a commencé à s’emballer. Les gens se sont posé des questions sur “l’invasion” des migrants, sur cette foule… “Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ?” Une manière de dédramatiser était d’extraire des visages et de raconter des histoires singulières.
Par quoi avez-vous débuté l’expérience ?
J’ai créé une page Facebook « Refugees Brussels Welcome », destinée à recueillir les témoignages des migrants. Le grand public belge pouvait voir les visages du Parc Maxilimen. Pour les migrants, c’était une manière d’avoir des photos. Des Irakiens, par exemple, ont mis ces images comme photos de profil ou les ont envoyées à leurs familles. C’était important pour eux d’avoir une trace.
Avez-vous rencontré des difficultés pour prendre ces photos ?
Les choses ne se sont pas toujours passées comme prévu car il était impossible d’aborder les gens et de leur dire « Salut, fais un beau sourire ! » Il fallait contextualiser. Tous les jours, il fallait palier à des problèmes de logement, de nourriture. Que des choses très immédiates… On ne prenait pas le temps de prendre soin de l’âme.
C’est là que mon travail est intervenu. Il y avait dans ce projet quelque chose d’humain, de digne, pour eux comme pour moi. Quand je me pointais faire des maraudes, parce que les associations et les bénévoles me demandaient de prendre des photos de la situation, c’était des clichés misérabilistes qu’il fallait montrer pour tirer sur la corde émotionnelle. Mais lorsque je voulais prendre des photos des migrants qui dormaient par terre, ils se redressaient automatiquement. Ils étaient tous là, fatigués, crevés, dégueulasses, crevant de faim, mais ils se redressaient. Pour moi, ça a été une véritable leçon. Ils ne voulaient pas être réduits à un corps. Un corps, c’est limité à des besoins. Quand ils se redressaient, ils s’érigeaient en sujets qui parlent et qui s’affirment. C’était à respecter.
“Certains m’ont montré le chemin qu’ils ont fait. Je me suis dit qu’avec avec des gosses, ce n’était pas possible.”
Quelle a été la nature de vos échanges avec les migrants ?
Quand j’abordais les gens, il me semblait logique de leur demander comment ils s’appelaient, d’où ils venaient et qu’est-ce qui les avaient menés en Belgique. Ce travail d’approche était important pour dire “Je suis là pour fixer vos traits et fixer votre nom”. Il fallait ensuite qu’ils m’expliquent, qu’ils prennent le temps de se poser car ce qu’ils ont vécu est parfois très dur.
Je leur posais la question très bateau : « Pourquoi vous n’êtes pas restés au pays ? » C’est là qu’on se rend compte que la question est en réalité très complexe. Je me souviens d’un témoignage d’un instituteur irakien : « Mais moi je suis instituteur… Pour qui je vais me battre ? Pour l’Iran, les sunnites, les chiites ? Moi je veux qu’on me foute la paix. En tant que jeune, je risque d’être engagé dans l’armée dans une guerre qui ne me concerne pas. »
Je demandais également pourquoi ils avaient laissé leur femme et leurs enfants là-bas. Certains m’ont montré le chemin qu’ils ont fait. Je me suis dit qu’avec avec des gosses, ce n’était pas possible. J’ai entendu des histoires affreuses où des familles se sont baladées avec des cadavres d’enfants pour pouvoir les enterrer ici. Des histoires de voyages aussi, au cours desquels la femme et les gosses sont morts. À la maison, avec mon mari, on a accueilli une famille avec un bébé de six mois. On a calculé : quand ils ont fait la route, le bébé avait trois mois. Ils sont venus d’Irak par les Balkans avec leurs enfants.
Êtes-vous toujours en contact avec eux ?
Après un an, j’en revois certains qui se sont mariés. Mon mari et moi-même avons assisté à un mariage d’un couple syrien dont j’ai fait la connaissance au parc. C’est beau aujourd’hui de participer à des évènements de vie. Ils viennent d’Alep, alors c’est à la fois très triste et très joyeux. C’est un honneur pour nous. Il y avait quelques Belges et on a été accueillis chez nous. On n’est plus dans l’assistanat, et ça, c’est un bonheur !
L’exposition est à découvrir jusqu’au 31 janvier à la bibliothèque Sésame de Schaerbeek (fermeture à 19 heures).