Daniel Demoustier est devenu reporter de guerre par hasard : “J’ai fait des études de sciences politiques et sociales à la Katholieke Universiteit de Louvain, je faisais des films sur le rock’n’roll et la danse moderne avec ma super 8.”
Autodidacte, il se perfectionne durant son service civil.
“Je voulais voyager ! Quand j’étais petit, j’écoutais la BBC World et ça a toujours été le rêve. Alors, je suis entré à Panorama, une émission de la BRT qui faisait un sujet à l’étranger chaque semaine.” C’est ainsi qu’en 1993, l’émission l’a appelé pour être preneur de son au Liban.
Première expérience au Liban
Travailler sur des zones de conflit, il ne l’a pas choisi : “J’ai refusé de faire mon service militaire parce que je suis un objecteur de conscience. Je suis contre la violence et je me retrouve dans des pays en guerre tout le temps… C’est une drôle d’histoire.” Mais cette première expérience lui a donné envie d’en vivre d’autres : “J’étais surpris et excité par l’atmosphère de là-bas parce qu’il n’y avait pas de règles ! L’adrénaline me faisait quelque chose.”
Toujours en freelance, il a commencé à travailler pour la BBC à Bruxelles parce que, en tant que Flamand, il parlait plus de langues que la majorité des journalistes anglais.
Puis, il a également été cameraman pour la chaîne ITN ( le TF1 britannique ). Là, son travail consistait essentiellement à couvrir des conflits armés: la guerre des Balkans, en Afghanistan, à Gaza, mais aussi le 11-Septembre, en Sierra Leone, au Liberia, en Irak, en Syrie, en Égypte, en Ukraine, etc.
“Je n’ai pas demandé à couvrir les guerres ! Ce que j’aime, c’est les grandes histoires, bien filmées et avec de l’émotion… C’est cette combinaison qui me rend heureux ! Ca peut-être en Belgique, n’importe où… Peu m’importe ! Les guerres sont de grands sujets, mais j’ai eu d’autres histoires : la mort de la princesse Diana à Paris, la disparition de Maddie McCann au Portugal… Les grands sujets sont les grandes histoires ! ” déclare le journaliste.
Un équilibre à trouver
Pour Daniel Demoustier, ce qui est important est de savoir faire une coupure entre la vie privée et le travail. Il faut un déclic à chaque fois. “Le switch est possible ! Mes premières guerres, c’était dans les Balkans à seulement deux heures de vol. Parfois, je revenais faire la fête avec des amis à Louvain les week-ends, j’allais en boîte de nuit et je repartais le lundi pour couvrir la guerre.”
Pour s’évader, il a gardé un lien fort avec sa première passion : la culture. Il continue de filmer du théâtre, de la musique et de la danse moderne. C’est devenu l’équilibre qui lui permet de supporter les guerres. Parfois, il lui arrive de mixer les deux comme dans son film visible sur YouTube : Tahrir Revolution Cairo, en 2011. Il y montre des portraits de la population égyptienne qui se battait pour les droits démocratiques sur la chanson “Flavor ” de Girls in Hawaii.
Une organisation parfaite
Pour faire son métier, Daniel Demoustier est très clair : il faut être organisé ! “Un tournage peut être foutu parce qu’il manque un tout petit câble ! Alors je range toujours tout à la même place !”
Tout est toujours compliqué quand on part sur des lieux de conflits. Rien que pour obtenir les visas, il a trois passeports différents. Le matériel doit toujours être chargé, il n’a pas seulement son GSM à brancher, mais entre cinq et dix machines à recharger tous les soirs. L’électricité aussi c’est un problème… Il n’y en a pas toujours ! Alors il a toujours son petit générateur qu’il laisse aux gens qu’il a suivis en repartant : “Dans ces pays, c’est un immense cadeau !”
En vingt ans de métier, il a vu la technologie grandement évoluer : “Quand j’ai commencé, on filmait et montait avec des cassettes ! Avec les débuts d’internet, on roulait pendant des heures pour envoyer les films par une station de télévision locale pourvue d’un satellite, ou alors on emportait notre propre satellite… mais ça prenait 54 valises et deux techniciens ! Je vous laisse imaginer l’enregistrement quand on arrive avec 54 valises ! Maintenant, ce sont de tout petits objets qu’on peut toujours avoir sur soi !”
Assurer sa sécurité
Un autre point sur lequel Daniel Demoustier insiste est la sécurité. Pour lui, “on n’a jamais le contrôle total, mais il faut faire un maximum. Il faut prendre des risques, mais toujours bien les calculer !”
Sur le sujet, il est également très organisé : il fait des entraînements obligatoires une fois tous les trois ans pour les assurances, durant lesquels il apprend ce qu’il doit faire en cas de kidnapping, de terrain miné, etc. Mais il a aussi appris à donner les premiers soins. “Avec des petits trucs, on sauve des vies et on peut faire la différence.”
Pour sa sécurité, les chaînes de télévision qui l’emploient le font souvent travailler avec des hommes armés de la sécurité. En général, ce sont des ex-militaires para-commandos. Il avoue ne pas vraiment aimer travailler dans ces conditions : “Ce n’est pas très discret ! Quand tu marches dans la rue de Bagdad avec deux grands Anglais, crânes rasés et tatoués, on te voit venir ! (rires) Moi je préfère être discret, prendre ma petite caméra avec ma barbe et mon petit chapeau… Mais bon, il y a des agents de sécurité très bien qui restent à dix mètres et qui ne t’empêchent pas de travailler !”
Le journaliste est bien conscient des nombreux risques qu’il prend avec son métier : “En 20 ans, j’ai perdu 22 collègues que je connaissais très bien.”
La caméra sous l’œil de la guerre
“Je me pose toujours les grandes questions : si je vois des blessés, est-ce que je vais aider ou rester filmer ? Est-ce que je peux intervenir dans l’Histoire ? Je suis rapporteur d’histoires : on ne peut pas intervenir… Mais évidemment, j’ai souvent laissé tomber la caméra pour aider.”
Au long de l’interview, Daniel Demoustier avoue plusieurs fois que son métier n’est pas simple et qu’il se remet toujours en question. Le journaliste n’est pas une ONG, il est là pour venir rapporter l’histoire et la raconter le plus justement possible. Un caméraman a énormément de pouvoir d’après lui : “Il faut toujours penser aux conséquences des images ! Des gens peuvent se mettre en danger en donnant leurs témoignages. Il faut avoir du respect et être conscient de ce qu’on fait.”
Le reporter ajoute qu’il n’a jamais eu trop de mal à filmer : “Quand j’ai commencé à avoir des enfants et que j’ai dû filmer des choses dures qui impliquait des petits là-bas, c’est devenu difficile. Mais en même temps, on a une pression tellement dure qu’on n’a pas de temps pour l’émotion ! On n’a plus de preneurs de sons, de monteurs… On a besoin de concentration pour réaliser un film chaque jour.”
Il ne cache pas qu’il existe une sorte de culpabilité vis-à-vis des civils et que ça peut être dur : “Porter le gilet pare-balles, je déteste ça ! On est face à des civils qui n’en ont pas… Mais bon, parfois il n’y a pas le choix ! En général, je me mets d’accord avec mes autres collègues sur place pour qu’on fasse tous la même chose.”
Cette culpabilité vient aussi pour des choses bien plus simples, comme l’alimentation : “Quand vous arrivez après une catastrophe naturelle, la plupart du temps, les ONG ne sont pas encore là et vous devez manger. Heureusement, on mange des sachets MRE (Meals ready to eat) pas très bons, mais très discrets.”
Un métier en mutation
Après plus de vingt ans de reportage de guerre, Daniel Demoustier a pris la décision cette année d’arrêter son travail avec ITN. “J’en ai marre d’être en stand-by, toute ma vie j’ai été en stand-by… Je suis n’importe où, le téléphone sonne et, en 30 minutes, je suis parti, sans savoir quand je reviens… C’est excitant comme vie, mais j’en ai marre.”
Il veut continuer à raconter ces mêmes histoires, mais sur des formats plus longs et avec un rythme qu’il décidera. Pour lui, c’est là que se trouve un aspect négatif de la technologie. “Maintenant sur le terrain tous les mails arrivent, ça change sans arrêt, on devient fou. Avant, c’était nous les créateurs de l’histoire !”
Pour conclure cette rencontre, écoutons sa propre conclusion sur son métier : “J’ai fait partie de l’histoire, j’ai pu changer l’histoire parfois et ça, c’est formidable !”
Les moments forts de la carrière de Daniel Demoustier, reporter de guerre