Le cinéma belge a le vent en poupe, mais ces dernières années le vent souffle surtout au nord du pays. Deux mondes cinématographiques que tout oppose. A l’occasion de la sortie en salles de Belgica, le mercredi 2 mars 2016, un comparatif s’impose.
Une fois c’est vous, une fois c’est nous. Le cinéma belge francophone a connu une seconde vie dans les années 1990 avec de nouveaux réalisateurs venus alimenter une liste truffée de noms déjà bien prestigieux. Un de ceux qui a relancé la machine wallonne est Jaco Van Dormael avec son premier long métrage “Toto, le héros” et son goût prononcé pour l’onirique teinté d’innocence. Selon Thierry Vandersanden, premier attaché pour la promotion cinématographique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, deux autres films complètent le tableau : “Le maître de musique“ de Gérard Corbiau et “C’est arrivé près de chez vous” du trio Belvaux-Bonzel-Poelvoorde. Alain Lorfèvre, critique cinéma pour La Libre Belgique, ajoute que « le cinéma belgo-francophone a bénéficié début des années 1990 de la politique de soutien proactive de la part de la Communauté française. Le feu Henri Ingberg a joué un rôle déterminant dans l’émergence de réalisateurs inspirés ». Plus tard dans la décennie, le cinéma des Frères Dardenne connaîtra une reconnaissance indéniable en Europe occident et principalement à Cannes en remportant la Palme d’or pour “Rosetta”, une victoire les aidant à renforcer leur touche naturaliste et sociale. A cette époque, malgré des productions de qualité, la Flandre a du mal à dépasser la cruelle frontière linguistique.
Revanche à la flamande
Le territoire flamand se réveille avec le doux baiser du réalisateur Erik Van Looy et le triomphe dans les salles de ses thrillers “De zaak alzheimer“ en 2003 et “Loft“ en 2008. D’après Thierry Vandersanden, « il s’agit de deux films de genre, des divertissements à vocation grand public, qui ont parfaitement rempli leur mission sur leur territoire de production ». Le cinéma flamand prend sa revanche, début 2000, avec la nomination inattendue aux Oscars du film de Dominique Deruddere, “Iedereen Beroemd !” (Everybody Famous), dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. L’étape suivante dans l’ascension logique de la création flamande est “La merditude des choses” sorti en 2009 suivi de “Rundskop“ de Michael R. Roskam. Fort apprécié par les cérémonies américaines, le septième art flamand mène la danse : quatre des cinq films dernièrement nominés aux Oscars sont d’origine flamande, le dernier en lice étant “The Broken Circle Breakdown“ du Gantois Felix Van Groeningen en 2014. Alain Lorfèvre insiste sur le rôle décisif de Christian De Schutter dans la visibilité de la Flandre à l’international et le lobbying – dans le bon sens du terme – auprès des programmateurs de festivals. De Schutter est également la tête pensante qui se cache derrière le label #TalentMatters, devenu un véritable trademark à l’étranger.
Un rideau de fer cinématographique ?
Le marché culturel connaît un bond spectaculaire dans les années 1990 avec le lancement de VTM (Vlaamse Televisie Maatschappij), la production se structure, mais prioritairement à la télévision. Selon Alain Lorfèvre, les producteurs flamands ont acquis un métier différent que les francophones. Très pragmatiques, voire techniques, ils excellent dans l’art de la “production value” – chère aux anglo-saxons – et quand, ils se sont attaqués au cinéma, ils l’ont fait avec une rare efficacité et clairvoyance. La situation des deux communautés belges est différente. Les films en langue néerlandaise venant de Belgique sont rares et le public flamand, ne se reconnaissant pas dans les productions hollandaises, en est gaga. Le décalage culturel entre la Flandre et les Pays-Bas est important, les Belges néerlandophones ne regardent d’ailleurs que peu la télévision hollandaise.
La Belgique francophone et la France seraient, comparativement, plus proches.La courte distance culturelle entre les deux pays mène à un mélange inévitable des ouvres belges francophones et les productions françaises. 200 films sont produits en moyenne chaque année sur le sol français contre quinze en Belgique. D’après Thierry Vandersanden, « il ne semble pas y avoir une demande importante de films purement wallons et les tentatives en ce sens, comme “Marbie, star de Couillu les 2 Eglises” ne rencontre pas un franc succès ». Alain Lorfèvre évoque l’absence d’un cinéma « culturellement wallon », mais mentionne « des effets de familles artistiques, une forme de regard sur le monde qui se retrouvent dans le cinéma wallon » en général. Les films belges francophones sont donc concurrencés sur leur propre territoire par les films français, phénomène pour ainsi dire inexistant au nord du pays.
Une réalité bilingue
Le trend belge dans le milieu du cinéma est indiscutable. D’après Alain Lorfèvre, cette mode remonte, notamment, aux débuts de Chantal Akerman, « cinéaste à laquelle le New York Times a consacré une page entière lors de sa mort en octobre dernier, certains français n’ont pas eu droit à un tel honneur ». Faisant la belle part à la réalité bilingue du pays, beaucoup de critiques et professionnels voient au sein du cinéma belge plus de similitudes que de différences. Qu’on s’appelle Van Groeningen ou Lafosse, en fin de compte, le seul élément qui prime aux yeux des cinéphiles est la qualité made in Belgium. Et c’est bien mieux ainsi.