En ce début du mois de novembre, la COP23, la conférence annuelle des Nations Unies sur le climat, a débuté dans un contexte loin d’être évident : Donald Trump retire les Etats-Unis de l’accord de Paris, cinquante scientifiques gouvernementaux américains estiment irréfutable le lien entre le réchauffement climatique et l’activité humaine dans un récent rapport, les gouvernements nationaux européens n’arrivent pas à se mettre d’accord sur l’avenir du glyphosate et les catastrophes naturelles se multiplient.
C’est en se déguisant en animaux que l’Ensemble Zoologique de Libération de la Nature appelle les politiciens à prendre des mesures responsables et humaines sur des sujets aussi cruciaux que l’environnement et la santé publique. « On veut amener de la radicalité dans le débat. On veut une vraie justice climatique, mais aussi dénoncer les multinationales et leur rôle d’influence dans les négociations des COP », précise sous-commandant canard, une membre du collectif qui souhaite reste anonyme.
Le box des accusés
Dénoncer le pouvoir des lobbies était le but de l’action militante menée en mai dernier, suite à laquelle neuf activistes de l’EZLN ont été arrêtés. Ils avaient envahi le siège de l’European Crop Protection Association (ECPA), un important lobby pro pesticide basé à Bruxelles, déguisés en animaux et armés de feuilles mortes, de légumes, de bombes à neige et d’une bonne dose d’ironie. « L’idée, c’est vraiment de jouer sur le buzz, l’action “one shot” et puis on s’en va. Ce sont l’humour et les actions décalées qui font la force de l’EZLN. On veut faire rire les gens et attirer leur attention sur des enjeux qui ont de l’importance en les faisant rigoler », explique énergiquement sous-commandant canard.
Les neufs prévenus sont inculpés pour « graffitis et dégradations ». L’ECPA a décidé de retirer sa plainte, mais une enquête étant déjà ouverte, un jugement doit être prononcé. Graeme Taylor, directeur des affaires publiques de l’ECPA, se dit ouvert au débat dans une lettre ouverte adressée à l’EZLN, mais ne cautionne pas les actions du collectif : « Vous utilisez votre visibilité pour justifier un manque de respect envers des personnes et des propriétés privées. » Il ajoute : « Vous ne permettez pas aux personnes qui ne sont pas d’accord avec vous de bénéficier du même droit de liberté d’expression. » En juin dernier, le procès a été reporté de quatre mois. Cette remise à plus tard du jugement laisse le temps au collectif de sensibiliser un maximum de citoyens. Apporter une dimension politique, citoyenne et militante à ce procès judiciaire devient l’objectif des animaux, plus soudés que jamais.
La ferme en folie
A l’occasion de son procès, l’EZLN a organisé une semaine de mobilisation début novembre. Un appel au soutien est diffusé. Une carte blanche est publiée dans Le Soir. Cinquante organisations, six députés européens et deux députés fédéraux annoncent leur soutien au collectif. Une « projection-débat » est planifiée la veille du procès. Les animaux et légumes de l’EZLN ne sont pas du genre à baisser la tête. Ils vont se battre jusqu’au bout.
“Il faut attirer l’attention sur les questions institutionnelles et démocratiques avant toute chose.”
Mercredi 8 novembre. Les gens font la file devant le guichet du cinéma Galeries au cœur de Bruxelles. Le film diffusé est « Le Roundup face à ses juges ». A travers ce documentaire, Marie-Monique Robin, la réalisatrice, relate le procès fictif de la multinationale Monsanto tenu à La Haye en octobre 2016. Il manque de place dans la salle. Plus de 150 personnes se sont déplacées. Tous ne connaissent pas l’EZLN. Les derniers arrivés sont contraints de s’asseoir par terre. Des amoureux s’asseyent l’un sur l’autre pour libérer des places en bout de rangée. Olivier De Schutter, professeur de droit international et ex-rapporteur des Nations-unies sur le droit à l’alimentation entre 2008 et 2014, s’est déplacé pour introduire le film. Il se dit scandalisé par « cette crise institutionnelle et ce manque démocratique ». Il pèse ses mots : « Il faut attirer l’attention sur les questions institutionnelles et démocratiques avant toute chose. Il y a de plus en plus de procédures judiciaires et des criminalisations des mouvements sociaux ». Avant de conclure « On assiste à un écocide silencieux. »
Il n’y a pas un bruit pendant la séance. Un mélange de consternation, d’injustice et de révolte est palpable sur les visages des spectateurs. Ce cocktail d’émotions redouble les applaudissements pendant le générique de fin. Le débat prend place sur la scène. Martin Pigeon, chercheur au Corporate Europe Observatory (observatoire qui étudie les groupes de pression et leur influence sur les politiques européennes) rappelle que notre gouvernement national a un rôle à jouer dans les décisions européennes : « Il est grand temps de faire prévaloir la démocratie sur la technocratie, de faire prévaloir la science sur le lobbying. Les gouvernements nationaux ont des responsabilités dans les dossiers comme celui du glyphosate. Même s’ils ont tendance à dire “Bruxelles a tranché, c’est l’Europe qui décide”, c’est bien eux qui ont les cartes en main. » La soirée se termine par un double appel à la mobilisation citoyenne. Le lendemain matin sera négocié la prolongation du glyphosate à l’Union européenne. Un peu plus tard dans la journée, les neufs membres de l’EZLN feront face à la juge.
Jeudi 9 novembre. Le coq n’a pas eu besoin de chanter pour activer les animaux ce jeudi à Bruxelles. C’est le grand jour et, assez paradoxalement, une certaine ferveur entoure le procès des animaux. Sur le coup de midi, canidés, amphibiens, poissons et reptiles commencent à se rassembler tranquillement en face du Palais de justice. Des dizaines d’associations et une centaine de citoyens sont présents aux côtés des familles des prévenus et des animaux du collectif.
« De mon temps, ce sont des choses que l’on ne faisait pas. C’est une des premières fois que je manifeste. Je suis inquiète pour notre planète. Je crois que je ne dois pas trop m’inquiéter pour mon petit-fils, mais la Terre, je pense qu’elle est très mal en point », déclare la grand-mère d’un prévenu, amusée par l’ambiance qui monte dans le rassemblement. Les chants sont lancés. Les animaux rugissent et dansent. Un peu plus loin, Anne-Sophie, 47 ans, ajoute : « Ce qu’ils font, c’est de la résistance. Nous, on n’a pas le temps, on n’a plus l’énergie de le faire. Mais aujourd’hui, j’ai quitté le boulot et je prends le temps de venir pour leur dire merci ! »
A une extrémité de la place, une exposition sur les « Monsanto Papers » (le scandale de désinformation autour du glyphosate organisé par la firme) est mise en place et soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles. A l’opposé, la ferme « De Groentelaar » vend des pommes de terre : « L’idée, c’est de vendre des patates pour à la fois rémunérer le fermier qui a fait ces patates et permettre à l’EZLN de payer ses frais d’avocat. On vend pour 6 euros. Il y a 3 euros qui reviennent au fermier et 3 autres à l’EZLN », indique un employé de la ferme.
Les citoyens ont répondu à l’appel du collectif. L’importance du procès n’empêche personne de s’amuser. L’ours polaire danse avec le tigre, pendant que le koala mange calmement ses feuilles de bambou. Les prévenus sont encouragés une dernière fois par un haka bestial et rentrent dans le palais de justice.
Le haut de la fourmilière
Toute une colonie de fourmis révoltées commence à sauter et chanter dans tous les sens face à la reine, seule à pouvoir pondre des lois. « On ne sort pas de certaines situations sans être révolté », assure sous-commandant canard. « L’histoire a montré que le levier qui a permis des changements dans les sociétés est le militantisme. Quand on voit que les initiatives citoyennes ne sont pas prises en compte face à ces géants de l’économie qui n’hésitent pas à biaiser des études scientifiques pour augmenter le profit, la désobéissance civile est inévitable ! »
« Je suis totalement en faveur de ce type de militance.”
Certaines personnalités politiques ne restent pas insensibles à ces mouvements de résistance. Benoit Hellings, député fédéral (Ecolo), soutient la convergence d’animaux et de légumes dans leur combat. « Je suis totalement en faveur de ce type de militance. Pouvoir expliquer par une action aussi ludique le fait que les animaux protègent l’environnement de l’emprise des multinationales, je trouve ça extraordinaire. L’EZLN a réinventé le combat écologiste avec les modes de communication et les médias de 2017. » Il ne tarit pas d’éloges pour le mouvement et est persuadé que les démarches politiques et citoyennes peuvent changer les choses : « Aujourd’hui, il faut dénoncer avec des méthodes audibles par le public ce qui est en train de se passer secrètement. C’est la conjonction du travail politique dans les hémicycles, dans les médias et du travail associatif sur le terrain qui fait qu’un dossier peut changer de direction. Chacun son rôle et c’est tout à fait complémentaire. Mais je ne peux pas me déguiser en carotte. »
Au niveau européen, Michèle Rivasi, membre d’Europe Écologie Les Verts, est un des plus grands soutiens des activistes de l’EZLN. Elle n’a pas hésité à se mettre en scène dans une vidéo aux côtés d’animaux pour appeler au rassemblement devant le Palais de Justice. Le combat par l’humour des activistes a de l’impact et se propage à travers la fourmilière.
Un tribunal « plus chaud que le glypho »
Ça transpire. Le tribunal est trop étroit pour accueillir toutes les personnes qui ont décidé de passer les portes du Palais de justice pour soutenir jusqu’au bout les neufs prévenus. La juge demande à plusieurs reprises que tout le monde s’asseye. A défaut de place, encore une fois, les portes restent ouvertes et les gens s’asseyent par terre.
Trente affaires différentes sont à l’ordre du jour. La juge annonce dès le début de la séance que le procès des activistes est beaucoup trop important pour une séance du jeudi après-midi où d’autres dossiers doivent également être traités. Les inculpés discutent avec leurs avocats. Ils ne veulent pas déplacer le procès une nouvelle fois. La juge déclare que le dossier sera abordé en dernier lieu. Les avocats devront faire court et se contenter d’argumenter autour des faits reprochés. Elle refuse d’entendre à nouveau ce qu’elle a déjà lu dans le dossier. Autrement dit, elle ne veut pas d’argumentation autour du combat militant ou des motivations des prévenus lors de l’action de mai 2016. La frustration de la quarantaine de personnes dans la salle se fait ressentir. La juge appelle au silence.
Deux heures plus tard. Certains agitent leur pull, d’autres terminent leur bouteille d’eau. La juge demande aux gens assis par terre d’occuper les places qui se sont libérées. C’est enfin le moment. Un par un, ils sont appelés par la juge et s’alignent face aux représentants de la justice. Certains plaident non-coupables, d’autres reconnaissent avoir été sur place lors de l’action. Après un court interrogatoire des animaux qui pour l’occasion avaient dû retirer leur pelage, les trois avocats rentrent dans la partie. Un par un, ils prennent la parole. Ils trouvent le temps d’imposer à la juge certains arguments qui leurs semblent indispensables à la défense de leurs clients. Le premier défend les activistes qui ont plaidé non-coupable. Le second développe l’importance du combat des accusés et la troisième termine par démonter un par un les faits reprochés dans les dossiers. Les trois maîtres paraissent sereins. L’assemblée sent qu’il se passe quelque chose, mais ne peut pas deviner le verdict. La juge pose quelques dernières questions avant de déclarer : « Le tribunal prend l’affaire en délibéré. Jugement le 7 décembre à 14 heures. »
« Vole comme un papillon, pique comme une abeille »
C’est ça l’EZLN. Être aussi pacifique qu’un papillon, mais mettre le doigt là où ça fait mal. Sensibiliser les citoyens au manque de transparence de certaines décisions européennes, toujours avec humour. Sous-commandant canard conclut : « Les gens se rendent compte que notre mode d’action est pertinent, légitime et nécessaire. On doit continuer tous ensemble à le défendre et à faire ce genre d’actions, parce que l’enjeu est tel que c’est le dernier recours. Ce n’est pas en culpabilisant les gens qu’on va les sensibiliser, mais avec de l’ironie, ça peut marcher. »