13h30 à l’université Lomonosov de Moscou. Chemise à carreaux, pantalon retroussé, tout sourire au moment de quitter sa bande, Diana embraye timidement. « Je suis désolé, je n’ai pas pratiqué l’anglais depuis longtemps. » D’emblée, elle fait promettre de ne pas faire apparaître son nom de famille. « Je suis toujours un peu parano. » A son arrivée à Moscou, elle craignait que ses amis restés au pays viennent la trouver, la juger. Certains l’ont blâmée sur les réseaux sociaux. Elle n’a jamais répliqué. « C’est une période dont je n’ai pas envie de me rappeler, glisse-t-elle en détournant le regard. Aujourd’hui, les choses se sont tassées. »
« Au moment de partir, seules deux amies étaient au courant »
Voilà bientôt deux ans, depuis l’été 2014, que Diana a laissé derrière elle son passé d’ukrainienne. Fraîchement diplômée, elle plie aussitôt bagages avec sa mère, laquelle entretient une relation avec un Russe. « Ils se sont mariés depuis. Au moment de partir, ma maman m’a conseillé de n’en parler à personne. Seules deux amies étaient au courant. » Dans la discrétion, elle planifie son déménagement, se plonge dans la littérature de son pays d’accueil, prépare les concours d’entrée à l’université. Avec la crainte d’être regardée d’un mauvais œil. « J’avais peur d’être désavantagée du fait de ma nationalité, se souvient celle qui s’attendait à subir quelques railleries. J’ai été surprise, flattée même de voir que personne n’en tenait compte. Au contraire, la plupart sont tristes devant cette situation. »
Les yeux bleus écarquillés, gesticulant et se tordant les mains, Diana se lance spontanément dans de grandes tirades, le cœur lourd lorsqu’elle évoque ses anciens camarades. « Nous avions passé beaucoup de temps ensemble, partagé de bons moments. Et d’un coup, c’était terminé. C’est étrange. » Rongée par le mal du pays, sans repère au milieu de la plus grande cité européenne, la petite blonde endure la solitude. Elle maintient toutefois le contact avec sa famille en Ukraine et quelques amies fidèles.
Quelque chose a changé
Elle retourne pour la première fois à Kiev l’hiver dernier, en profite pour revoir ses proches. « Ca m’a fait très plaisir de les revoir, de revenir à Kiev, une ville cosy, que j’adore. Mais quelque chose a changé. » L’atmosphère est pesante. Sa tante vient d’être licenciée. Les prix explosent, comme celui du pain, deux fois plus cher qu’avant 2014. « Je ne vois aucun changement positif, souffle-t-elle. Je n’y comprends pas grand-chose à la politique, mais je peux tirer les conclusions de ce que j’ai vu. » Elle apprécie le nouveau maire, l’ancien boxeur et figure de la place Maïdan, Vitali Klitschko, « un type normal », à l’inverse de son prédécesseur : « On l’appelait ‘Space’ ici parce qu’on ne comprenait rien à ce qu’il faisait. Tout le monde se demandait s’il n’était pas drogué. »
« Après Maïdan, de drôles de choses ont émergé »
Dans une ville où elle a passé ses dix-huit premiers printemps, le basculement de sa vie coïncide avec le mouvement Maïdan et sa violence, à la fois physique et psychologique. « Après Maïdan, de drôles de choses ont émergé, se remémore, agacée, l’étudiante en publicité. Soudainement les gens sont devenus patriotes. Ils se sont mis à admirer les héros du pays comme le poète Chevtchenko, à parler ukrainien sur les réseaux sociaux, des familles se sont fâchées…. Je ne comprends pas. Pour se dire patriote, il faut au moins connaître parfaitement la langue du pays. Or, pour beaucoup de gens à Kiev, ce n’est pas le cas. »
Elle prend l’exemple de l’une de ses anciennes professeures, incapable d’employer l’ukrainien d’un bout à l’autre d’une phrase. Le sourjik, un mix entre les langues sœurs, règne dans les milieux populaires de la capitale tandis que le russe domine même au sein des cercles jeunes.« Je n’aime pas l’ukrainien, je ne suis pas à l’aise avec. Je ne l’utilisais jamais. Seulement à l’école mais entre amis, à la maison, jamais. Je considère même que l’anglais est une langue plus native pour moi que l’ukrainien ».
Aussi russe qu’ukrainienne
Si la vision de Diana apparaît si tranchée, c’est que toute petite déjà, elle baigne dans la culture russe dont elle s’imprègne, conséquence d’un héritage familial. « Mes grands-parents sont nés en Russie soviétique. Quand j’allais chez eux, tout se faisait en russe. »
A vingt ans, la jeune fille est en plein tiraillement identitaire. A tel point qu’elle s’estime étrangère du monde. « Je ne sais pas ce que je suis. Russe ou Ukrainienne. Je suis encore jeune, j’ai le temps de décider. » Une chose est certaine à ses yeux, faire le chemin inverse reste inconcevable. Il est 14h30, les cours vont reprendre. Une photo pour finir ? « Non, je ne préfère pas, vous comprenez… »
Dans le cadre d’un échange à l’Université d’État Lomonosov de Moscou, 23 étudiants de l’IHECS ont intégré la faculté de journalisme pour une durée de deux semaines. Il s’agit de suivre un programme international sur le journalisme et ses enjeux en Russie. Une semaine, avant de rencontrer Diana à Moscou, nous sommes partis à quatre dans le cadre de notre mémoire médiatique en Ukraine. C’est par hasard que nous avons rencontré Diana. Son profil nous a été évoqué lorsque nous échangions avec des étudiants russes les sujets de nos mémoires. Notre projet s’intitule “Les enfants de Maïdan”, il vient de remporter le premier prix de la bourse Sophie Soudant. Nous nous intéressons à la jeunesse ukrainienne post-Maïdan. Cette dernière était le fer de lance du mouvement révolutionnaire de 2013 à 2014. Aujourd’hui, cette génération d’après-Maïdan est tue médiatiquement alors que la pays est dans une phase de reconstruction. À travers nos échanges à Kiev et Lviv avec de jeunes ukrainiens, Diana, elle, vient contrebalancer les témoignages que nous avons récolté.
Notre projet vous intéresse, n’hésitez pas à nous aider dans sa réalisation sur notre page de crowdfunding.