Sous la menace d’une sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni a obtenu un accord sur plusieurs mesures après des négociations complexes lors du sommet des 18 et 19 février derniers. L’une de ces propositions concerne la diminution des aides sociales pour les nouveaux ressortissants européens travaillant sur le territoire britannique. Cette mesure pourrait cependant ne jamais voir le jour. Elle sera applicable dans un seul et unique cas : si la majorité des citoyens britanniques votent “oui” au référendum prévu le 23 juin sur le maintien du pays dans l’UE.
Amandine Vandenheede, jeune citoyenne belge, se questionne sur son avenir et le sort qui lui serait réservé si elle décide un jour de s’installer à Londres.
Concrètement, ce mécanisme, appelé “frein d’urgence”, permettra au Royaume-Uni de cesser de faire bénéficier les nouveaux arrivants, venant d’un autre pays européen, des avantages sociaux auxquels ils auraient normalement droit, et ce pour une durée de quatre ans maximum. Ce dispositif demeurera actif pendant sept ans. Tous les Etats membres pourraient y avoir recours, mais seulement s’ils sont en mesure de prouver un flux migratoire exceptionnel sur leur territoire. C’est le cas du Royaume-Uni qui a su démontrer une augmentation significative d’Européens expatriés.
Par exemple, si Amandine décide un jour de s’installer dans la capitale pour y continuer sa carrière de comédienne, elle ne recevrait plus les allocations familiales au tarif britannique – comme c’est le cas aujourd’hui – mais bien celles au tarif belge. De même, elle ne bénéficierait pas d’un logement social ou d’un accès immédiat aux prestations liées à l’exercice d’un emploi. Conséquence : “cela pourrait créer des inégalités entre les travailleurs au sein d’une même entreprise”. C’est ce qu’explique Claude Rolin (CDH), député européen à la Commission de l’Emploi et des Affaires sociales :
Réel changement ou chantage politique ?
Pourtant, une directive européenne datant de 2004 précise déjà qu’une telle démarche, visant à freiner l’immigration intra-européenne, est possible. Un Etat membre peut entraver la libre circulation des citoyens en réduisant leurs allocations sociales, par exemple. La directive spécifie qu’ “il convient (…) d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil pendant une première période de séjour.”
Selon Claude Rolin, cette nouvelle mesure négociée en février est de l’ordre du chantage. L’enjeu se trouverait dans la symbolique et non dans la mesure elle-même. “Cameron aurait pu éviter un chantage et une grande négociation simplement en utilisant la directive de 2004. Il ne l’a pas utilisée car son but est de prouver aux anti-européens qui appartiennent au UKIP – parti de droite eurosceptique présidé par Nigel Farage – ou à son propre parti, qu’il a su faire plier l’UE à ses désirs de Britannique”, explique- t- il. En bref, c’est davantage pour des raisons de politique intérieure que le Premier ministre a mené ces négociations. L’organisation du référendum est également considérée par certains comme un argument pour gagner les élections.
Des économies minimes
Le but premier de cette éventuelle diminution des aides sociales, tel que présenté par Cameron et ses pairs, serait de faire des économies. Pourtant, plusieurs experts s’accordent sur le fait que ce n’est pas en réduisant ces aides sociales que le Royaume-Uni réalisera une épargne importante. Les chiffres tendent à démontrer que les bénéfices seraient plutôt marginaux. Selon le député européen Tom Vandenkendelaere (CD&V), le budget des allocations familiales attribuées aux ressortissants européens représenterait 0,46 % du budget total des allocations familiales britanniques. De plus, ajoute M. Vandenkendelaere, “il ne faut pas oublier que ce principe est donnant-donnant. Oui, la Belgique paye des allocations familiales à des travailleurs européens. Mais, en même temps, beaucoup de Belges vont travailler dans un autre pays de l’UE et sont donc couverts par le système social de ce pays”.
Vers une Europe divisée ?
Modifier le processus d’attribution des allocations sociales, et par conséquent, créer deux catégories de travailleurs européens, est un frein à la libre circulation des salariés au sein de l’Union. Or, cette libre circulation des personnes constitue un principe fondamental de l’UE. Historiquement, ce n’est pas la première fois que le Royaume-Uni tente d’imposer ses propres conditions. Leur adhésion s’est accompagnée d’exceptions depuis les années 80′ : ils ne font pas partie de l’espace Schengen ni de la zone euro, ils ont leur propre monnaie et ne cessent d’être réticents face à une union qui se veut plus large et solidaire. Tom Vandenkendelaere, député européen, nous donne son avis :
Les modifications réclamées par le Royaume-Uni s’éloignent donc des valeurs de base de l’Union européenne. Un évènement qui inquiète et pose la question des conséquences qu’un tel accord pourrait avoir sur la coopération entre les Etats membres. Comme le décrit Claude Rolin, “à partir du moment où l’Union accepte de céder face à ce type de chantage, qu’est-ce qui empêche un autre pays de menacer d’un référendum s’il n’obtient pas ce qu’il veut ? Rien. La preuve, c’est que dans les jours qui ont suivi l’accord avec le Royaume-Uni, la Hongrie a décidé de convoquer les électeurs hongrois sur un référendum concernant la relocalisation des réfugiés. On est là dans un processus très dangereux qui peut amener à une forme de détricotage de la construction européenne”.
Les valeurs initiales défendues par l’UE apparaissent comme de plus en plus difficiles à défendre. Les compromis sont longs à trouver, et chaque pays semble vouloir prendre ses propres décisions. Dans un contexte actuel déjà tendu, ces nouvelles mesures seraient-elles représentatives d’une instabilité européenne croissante ?