La Belgique et la France pansent leurs plaies un mois après les attentats de Bruxelles. Les deux pays se partagent en effet l’enquête, mais ont proposé un traitement médiatique très contrasté de ce dossier. Lockdown, perquisitions de Forest, arrestation d’Abrini… les bavardages de certains médias ont divisé la presse.
En novembre dernier, après les attentats de Paris, la différence de traitement médiatique a été frappante entre la France et la Belgique. De notre côté de la frontière, les médias se sont démarqués d’une manière bien surprenante puisqu’un lockdown sur l’information avait été décrété : les rédactions belges avaient cessé de communiquer à propos des recherches et des opérations en cours afin de protéger les personnes impliquées et les intérêts de l’enquête. Les journalistes ont décidé de filtrer les informations diffusés, pratique très peu répandue habituellement.
Cette retenue a inquiété certains journalistes en France. C’est notamment le cas de Carole Lyon, journaliste belge au Courrier International. “Pendant toute la période qui a suivi les attentats de Paris, les médias belges étaient quand même très tributaires de ce que pouvait laisser filtrer le gouvernement. Cela pose quand même question.”
Les Français plus bavards ou les belges trop dociles ?
Si cette docilité envers le pouvoir peut et doit être remise en question, elle ne peut se comprendre que dans un contexte exceptionnel. En l’occurrence, les faits qui se sont déroulés sont d’une nature inédite et demandent une attention et un traitement particuliers.
Tout d’abord, il est important de rappeler que, dans le cas du lockdown, les médias belges ont choisi de retarder la diffusion de l’information. “Il n’était donc, en aucun cas, question de se soumettre à une pression extérieure, mais d’agir avec prudence et responsabilité” souligne André Linard, du Conseil de déontologie journalistique.
Une recommandation du CDJ vient d’ailleurs d’être formulée pour inviter les journalistes à la prudence : “La liberté de la presse n’implique pas que toute information, même vérifiée, soit diffusée sans délai lorsqu’elle influencerait le comportement des acteurs, mettrait des vies en danger, conduirait à des dommages pour des personnes” (Extrait du carnet “Informer en situation d’urgence”, CDJ).
Si la course à l’information a été plus virulente en France, c’est notamment en raison des chaines d’information en continu, BFM et Itélé en tête. Une journaliste du Bondy blog nous raconte d’ailleurs à ce titre ce qu’elle a pu observer dans les locaux d’une chaine d’information en continu : “il est impératif pour les rédacteurs en chef d’avoir l’information au plus vite. Si une chaine concurrente diffuse une information, les journalistes sont envoyés pour couvrir la même. Ce n’est plus la course à l’info, mais la course aux buzz”. La pression viendrait donc de la hiérarchie.
Très répandues chez nos voisins, ces chaines n’existent pas chez nous, bien qu’en cas d’événement exceptionnel, les radios et télévisions belges mettent en place un dispositif spécial pour couvrir l’information.
Trop bavards…
Plus récemment, une révélation du magazine français l’Obs a fait polémique. Lors des perquisitions dans un appartement de Forest, les journalistes avaient annoncé, avant tout mouvement de la police à Molenbeek, que des traces de Salah Abdeslam avaient été retrouvées. Ces agissements ont, selon le parquet belge, mis à mal le déroulement de l’enquête. Il désapprouve la rapidité avec laquelle l’information a été relayée. L’information était certes d’intérêt public, mais la rapidité avec laquelle celle-ci a été publiée pose question.
De son côté l’Obs se défend dans un édito : “Porter à la connaissance du public, à commencer par les Bruxellois, le fait que le terroriste le plus recherché de la planète depuis novembre dernier se trouvait peut-être encore dans la capitale belge nous a paru primordial. Notre article n’a rien appris au terroriste qu’il ne savait déjà : ni que la police le recherchait, ni qu’il avait pu laisser des traces de son passage dans l’appartement de Forest“. Certes, mais il n’était peut-être pas dans l’intérêt de l’enquête que toute la France et la Belgique, complices éventuels y compris, sachent aussi vite que le suspect en fuite était Abdeslam.
N’est-il pas, dans certains cas, d’intérêt général de retenir son information ? Dans le cas de dossiers “sensibles”, il est plus facile de poser une analyse a posteriori. L’intention des journalistes français n’était certainement pas de nuire à l’enquête ; ils sont davantage victimes de la course à l’information et de la pression de leur rédaction. Les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène, comme on a pu le voir par exemple, avec l’utilisation de Périscope.
… ou juste réactifs ?
En revanche, dans le cas de l’arrestation d’Abrini, supposé être l’homme au chapeau et l’un des derniers fugitifs des attentats de Paris, c’est un média français qui a révélé l’information en premier. Celle-ci n’avait d’ailleurs pas encore été validée par la police belge. Pierre Alonso, journaliste à Libération, estime qu’il n’y a pas là de faute déontologique : “Notre devoir, en tant que journalistes, c’est de transmettre des informations. Si on attend la confirmation du parquet à chaque fois, on ne fait plus de l’info, mais de la communication.”
En définitive, la différence de traitement médiatique, entre la France et la Belgique, dans le cadre des attentats terroristes, repose sur une conception différente de la responsabilité sociale du journaliste. En Belgique, il semblerait que les journalistes sont plus enclins à la remise en question de leur responsabilité, alors qu’en France, celle-ci est jugée “acquise” pour toute personne exerçant son métier de journaliste. Par ailleurs, il existe une différence de culture médiatique entre les deux pays, la France offrant un paysage plus vaste et plus concurrentiel, incitant davantage à la course à l’information. Néanmoins, les récents événements invitent à la prudence. Il est bon de rappeller que l’erreur est humaine et que celle-ci peut coûter très cher dans ce genre de dossier. Rien ne sert de courir.