Repoussé à plusieurs reprises dans l’agenda européen, le texte de révision relatif à la Directive de détachement des travailleurs européens a été présenté mardi soir en séance plénière à Strasbourg. C’est au sein du Parlement européen que Marianne Thyssen, la commissaire européenne en charge du Travail, a défendu ses propositions pour encadrer plus efficacement les conditions de mobilité des “travailleurs détachés”, et indirectement lutter contre le dumping social dans l’Union européenne.
Une législation créatrice d’inégalités
L’attention portée sur les conditions des travailleurs détachés n’est pas chose nouvelle au sein de l’UE. Le débat a été initié lorsque la situation des travailleurs transfrontaliers entre la France, l’Espagne et le Portugal se faisait tous les jours un peu plus inégale. La Directive 96 est alors entrée en vigueur. Considérée comme le texte original, celui qui “règle tout”, il établit légalement le statut de “travailleur détaché” et lui accole une protection relative. Cependant, les autorités européennes se rendent rapidement compte que la législation comporte beaucoup de lacunes, menant souvent à des abus. En 2014, la directive détachement fait peau neuve. Sa révision vise à solutionner des problèmes d’implémentation et crée un arsenal légal plus solide. Par exemple, une ébauche d’organes de surveillance à une échelle nationale. Une fois modifiée, la directive permet alors d’encadrer plus efficacement et plus justement la mobilité des travailleurs entre États membres. La lutte contre le dumping social est donc lancée. En théorie…
En Europe, ce phénomène est fréquent, par exemple : une entreprise belge embauche un travailleur espagnol ou hongrois détaché de sa propre entreprise, auquel s’appliquent les règles de son pays d’origine, ce qui signifie que l’entreprise belge paiera un salaire et des charges sociales bien inférieures à celles prévues pour un travailleur équivalent belge… Résultat : une situation inéquitable entre les travailleurs européens et une mise en concurrence des travailleurs au sein de l’Union européenne.
Vers un système jugé plus équitable
Alors que la Directive 2014 doit seulement être transposée dans les législations nationales pour le 18 juin 2016, une nouvelle révision dite « ciblée » de la même directive (le texte proposé ce mardi) vise quant à elle à modifier le statut même du travailleur détaché. C’est autour de quatre points cruciaux que s’articulent les propositions de la Commissaire Thyssen.
Le premier point touche à la rémunération. Le principe : “A travail égal, salaire égal.” Auparavant, le travailleur percevait son salaire sous le régime du pays auquel il était originaire et non de celui dans lequel il exerçait ses fonctions temporaires. Dans la révision, un travailleur est traité au même titre que les travailleurs du pays d’accueil. Il doit cependant payer ses cotisations sociales dans son pays d’origine. Le salaire ne comprend plus qu’une seule dimension, mais reprend aujourd’hui les primes ou les indemnités. Les conventions collectives d’application générale deviennent communes aux secteurs concernés sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.
Les chaines de sous-traitance sont elles aussi renforcées. Les États membres peuvent décider s’ils prévoient que les sous-traitants accordent la même rémunération que le contractant principal. On parle cette fois d’accord collectif, lequel demeure, en vertu du principe de subsidiarité, de la compétence de chaque Etat-membre.
Autre point important : la durée. Dans la directive précédente, aucune définition de temporalité n’était spécifiée. Parfois, suite à des contrats sans cesse renouvelés, un travailleur pouvait endosser le statut de “détaché” pendant des années, n’ayant droit alors à aucune protection légale. La commissaire impose une durée maximale deux ans. Si la personne reste au-delà de la période minimum permise, elle tombe alors sous la sécurité sociale et sous la législation du travail du pays d’accueil.
Finalement, en cas de position d’intérimaire, les réglementations nationales relatives aux entreprises de travail temporaire (interim) du pays d’accueil s’appliquent directement aux travailleurs détachés.
Une double lecture du Parlement européen
Le débat qui a suivi l’allocution de la commissaire a été vif en réactions. Même si les députés avaient déjà pu prendre connaissance du premier draft de la révision ciblée lors du weekend précédant la présentation, certains attendaient avec impatience les propositions définitives. En effet, Maria Arena, l’eurodéputée belge (S&D) confie : “La première version n’apportait rien de nouveau. La version du texte du mardi avait déjà été modifiée. Elle donnait plus de clarté sur la notion de “salaire minimum”, en incluant les indemnités, bonus, et etc. C’est une définition plus protectrice du travailleur détaché.”
Une grande majorité des députés soulignent l’importance de remettre le dossier sur la table. Anne Sander, eurodéputée française (PPE) est du même avis, mais jure “on va suivre de très près l’avancement des discussions. Il y a encore beaucoup de points flous. En termes de salaire minimum par exemple… Il y a encore trop de disparités entre les pays.”
Lors de son intervention au Parlement européen, Thomas Händel (S&D) soutient que le texte, en l’état, ne permet pas de lutter contre les pratiques frauduleuses : “Responsabilité en chaine, faux indépendant, abus d’interim, … la révision ne parle pas de cela.” Maria Arena (S&D) insiste sur la multiplication des sociétés fictives implantées dans les Etats membres à faible protection sociale : “Et les sociétés “boite aux lettres” ? Cela n’apparait pas non plus. Il faut une plus grande révision sur l’ensemble du secteur du détachement. Nous demandons un plus grand volet d’application.”
Au sein du PPE, on semble s’accorder sur un point crucial : une meilleure mobilité des travailleurs ne peut être assurée qu’à travers des organes de contrôle et de coopération performants au sein de chaque État membre. Pour éviter une Union européenne à deux vitesses dans certains secteurs, tous les pays doivent respecter une législation stricte. Et c’est là que le bât blesse, car les Etats dont le système social est le plus faible profitent également du dumping social. Pour attirer les entreprises, ils se lancent dans la course au moins-disant et ne voient pas, à court terme, l’intérêt d’une harmonisation par le haut.
Claude Rolin (PPE) relève d’ailleurs un scénario particulier au sein du Parlement : “Certes, le clivage gauche – droite est présent, mais une autre lecture de l’hémicycle peut être réalisée concernant la directive détachement. On a l’impression que nous sommes dans une dynamique pays de “l’ancienne Europe” contre les pays de l’Europe de l’Est et centrale. Un pays comme la Hongrie perdrait énormément d’avantages en cas d’harmonisation du marché.”
Le eurodéputé belge lance le débat encore plus loin et soutient : “Si on voulait mettre fin à toute concurrence déloyale au sein de l’UE, il suffirait de revoir le droit du travail en Europe et d’harmoniser les cotisations sociales. Utopique pour le moment.”
Concertation sociale biaisée
Une source proche de la Commission assure que la Confédération européenne des syndicats (CES), le patronat BusinessEurope, mais aussi les syndicats nationaux ont été consultés lors de l’élaboration de la révision. Or, dans un communiqué de presse, la CES regrette qu’une vraie concertation sociale n’ait pas été actionnée lors du travail préparatoire.
La proposition de directive dans sa version définitive est donc vivement attendue. Une fois publiée, cette proposition passera aux mains du Parlement européen et du Conseil des ministres. Libre à eux d’impliquer les partenaires sociaux dans la discussion s’ils le souhaitent. Rappelons qu’il faut une majorité qualifiée pour que le texte soit voté au Conseil. Encore de longues négociations en perspective dans une Europe divisée.