Certains jeunes se parent d’une cagoule pour faire le djihad en Syrie. D’autres l’enfilent pour affronter les policiers dans les manifestations, comme ce fut le cas en France dans le cadre de la loi Travail de la ministre El Khomri et en Belgique lors des diverses grèves qui secouent le pays. Si les objectifs diffèrent, les raisons de leur rage coïncident. Quand le dialogue avec le pouvoir n’est plus possible, ils se tournent vers la violence pour faire entendre leur colère et leur désespoir. En réponse à l’immobilité gouvernementale, elle leur semble s’ériger comme seul moyen d’action pour ancrer de manière immédiate et concrète leur idéologie dans le réel.
En s’attaquant physiquement aux symboles de l’Etat, aux personnes et aux biens, les casseurs comme les terroristes reprennent le pouvoir entre leurs mains, réinvestissent leurs territoires et leur dignité perdus. Ils émergent ainsi du marasme dans lequel les gouvernants les plongent depuis plusieurs décennies. Sartre l’expliquait à propos de la colonisation française : “L’arme d’un combattant, c’est son humanité. Car, en ce premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre”.
Si les jeunes ont perdu tout espoir, la faute en revient, au moins partiellement, aux politiques occidentales. La radicalisation des actions reflète le désir de retrouver un certain amour-propre, une certaine fierté. Le chômage de masse, les discriminations, les exclusions, une perte de légitimité du savoir institutionnel, assombrissent de plus en plus l’horizon. Les nombreuses guerres interventionnistes, l’échec des Printemps arabes, les relents de néocolonialisme, accentuent les fractures entre sociétés. Les facteurs internes et externes s’entremêlent, jusqu’à l’implosion.
Miettes et débris nourrissent alors la lutte des classes. Contrairement aux générations précédentes, les perspectives d’avenir demeurent obstinément bouchées. Même les études supérieures ne sont plus synonymes de voie d’accès vers l’ascension sociale. Selon le sociologue Pierre Bourdieu, “dans tout ce qui définit la relation qu’un groupe d’étudiants entretient avec ses études, s’exprime le rapport fondamental que sa classe entretient avec la société globale, la réussite sociale et la culture”. Ne leur reste pour se surclasser que la violence.
Un réseau d’un nouveau genre se constitue, engendré par ces actions radicales. Un sentiment d’appartenance à une communauté prend forme, alimenté par un désespoir commun. Avec comme résultat pour ces individus de “se réaliser comme personne au sein d’une communauté solidaire”, selon le philosophe et sociologue Edgar Morin. Ce mode d’affirmation identitaire leur permet de retrouver un sens dans le chaos général. Ils acceptent la cagoule tendue par les gouvernements et engagent leur lutte, armés de bombes ou de parpaings.
La réponse ne peut être sécuritaire ou liberticide. Elle doit s’attaquer aux racines mêmes du problème, remonter le fil fragile sur lesquels ces jeunes vacillent tels des funambules. Les gouvernements doivent proposer aux peuples des perspectives d’avenir qui ne se limitent pas au court terme. Or, comme l’explique le journaliste Jean-Louis Servan-Schreiber, “les élections ne se gagnent pas sur les projets à long terme, mais sur des promesses pour demain matin”. Ce n’est dès lors pas étonnant que la violence explose de tous les côtés, quand même leurs lendemains promis sont misérables.