Le 11 novembre, la Cour de justice de l’Union européenne (UE), à Luxembourg, a jugé que les Etats membres ne devaient pas payer d’allocations sociales à un citoyen d’un autre Etat membre se rendant sur son territoire uniquement pour bénéficier de l’aide sociale du pays d’accueil. Pourtant l’un des grands principes de l’Europe est la libre circulation des personnes. Mais ce principe a ses limites. Les membres de l’UE peuvent ainsi expulser des citoyens européens. La Belgique ne fait pas exception.
Cet arrêt précise l’interprétation à donner à une directive européenne de 2004 visant à empêcher le « tourisme social ». Par tourisme social, on entend le fait qu’un citoyen européen bénéficie des allocations sociales d’un autre Etat membre sans être en mesure de pouvoir justifier l’existence d’un « lien direct » avec son pays de résidence. Pour être plus concret, on parle de « tourisme social » lorsqu’un Portugais par exemple se rendrait aux Pays-Bas uniquement pour percevoir de plus grosses allocations sociales.
A l’origine : un litige
Pour cet arrêt, la Cour de justice européenne a été saisie de la situation d’une Roumaine. Mme Dano vit, avec son fils, en Allemagne depuis 2010. Elle bénéficie de certaines allocations pour élever son enfant. Mais elle a demandé une aide supplémentaire dont bénéficient les Allemands qui cherchent un emploi. Sa demande a été refusée par les services sociaux allemands. Ceux-ci estiment que Mme Dano n’a jamais travaillé et qu’elle ne cherche pas d’emploi.
Pour la Cour de l’UE, qui se base sur les traités européens, l’administration allemande n’a pas commis de discrimination. Pour qu’une Roumaine soit sur le même pied d’égalité qu’un Allemand, il faut respecter la législation européenne. Celle-ci prévoit qu’une personne inactive économiquement, qui veut rester plus de trois mois dans un autre Etat membre et bénéficier de toutes les allocations sociales de ce pays, doit disposer de ressources propres suffisantes. Ce n’était pas le cas de la citoyenne roumaine. L’Allemagne n’est donc pas tenue de lui verser toutes les allocations dont bénéficient les Allemands.
La Belgique expulse des Européens
La Belgique, elle, n’a pas attendu cet arrêt pour agir. Des mesures ont déjà été prises pour répondre à la directive de 2004. Dans un contexte d’austérité sociale, la Belgique expulse, depuis janvier 2012, les citoyens européens qui perçoivent des allocations de chômage, jugées abusives.
Nous avons questionné l’Office des étrangers qui a accepté de nous livrer ses statistiques. En 2012, 2407 citoyens de l’Union européenne ont été expulsés de Belgique pour ce motif social. Ce chiffre a augmenté en 2013 avec 2712 expulsions de ce type. Parmi eux, la plupart sont Roumains, Bulgares, Italiens, Espagnols, Néerlandais et même Français. Ainsi, en 2013, 177 Français ont été priés de quitter le territoire belge. L’Office des étrangers nous précise que ces chiffres ne concernent pas uniquement les chômeurs. Ils visent toutes les personnes qui représentent une « charge déraisonnable » pour le système de sécurité sociale belge.
Il n’existe pas de statistiques plus récentes pour les chômeurs spécifiquement. Le cabinet du secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Théo Francken, ne veut pas dévoiler les chiffres de 2014. Mais, pour se faire une idée, entre janvier et juillet 2012, la Belgique a expulsé 1277 chômeurs européens.
Il revient maintenant aux Etats membres de se conformer à la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Mais question : cet arrêt, qui donne une interprétation stricte de la directive, ne remet-il pas en cause l’un des principes fondateurs de l’Union européenne : la libre circulation des citoyens au sein de l’Union européenne, consacrée dans les traités ?