C’est avec un grand sourire que Sam Touzani nous accueille dans son appartement lumineux à Schaerbeek. Après nous avoir offert un café, le comédien s’installe face à nous et l’entretien peut démarrer. Et là encore, malgré les sujets sérieux évoqués, c’est avec décontraction que Sam les évoque tour à tour.
Sam Touzani est comédien, cependant il n’a pas envie de jouer un rôle. Il est également metteur en scène et auteur. Issu d’une famille d’opposants politiques marocains, il cultive le corps et l’esprit depuis l’âge de douze ans. Les questions d’identité et de liberté le passionnent et il tente de les traiter à travers le rire dans ses différents spectacles. Pour le Maroxellois, “on peut véritablement former les citoyens à partir du terreau qu’est le savoir, la culture, la science. J’ai pris le parti de répondre à des questions de société par le prisme de l’art.”
Le comédien a été la première figure issue de l’immigration marocaine à travers la télévision. Il a présenté quatre émissions à la RTBF en 1992. C’était une première pour l’époque d’avoir un Bruxellois marocain qui s’adressait à tout le monde, pas seulement à la communauté maghrébine ou marocaine. “On ne m’a pas pris pour mes origines mais pour mes qualités. Personne ne s’est posé la question du fait que j’étais à l’époque marocain.” Sam Touzani se considère d’abord comme un citoyen du monde, ensuite comme un citoyen belge qui a ses particularités. Sauf qu’il ne souhaite pas les mettre en avant. “Imposer des particularismes effrénés comme le halal, le port du voile que dictent la religion, remet en cause le principe d’égalité. Plus on revendique des choses au nom de la différence, plus on va créer de l’exclusion au sein de la différence”, explique-t-il. Sam Touzani a ensuite arrêté la télévision car il éprouvait le besoin de nommer les choses. C’est par la création de spectacles qu’il s’y essaie et tant mieux s’il arrive à pousser les gens à la réflexion.
Regarder la société par le prisme citoyen
Il constate que beaucoup de Marocains sont encore considérés comme des étrangers en Belgique et que souvent, lorsqu’il y a des Français ou des Belges qui travaillent au Maroc, on les considère comme des expatriés. “Cela en dit long sur comment l’on considère une partie de la population. Cependant, je ne suis pas dans le discours victimaire.” Mais il ajoute également que les “Maroxellois” non plus ne se considèrent pas comme citoyens belges, pourtant ils le sont. “Ils n’y arrivent pas parce qu’ils ne veulent pas et, parfois, on veut mais on n’y arrive pas. Cela s’inscrit dans le temps. La question de l’identité n’est pas facile. J’ai dû aussi me faire violence quand j’étais adolescent pour accepter le fait que j’étais belge. J’ai vu dans le regard des autres que j’étais un étranger. Je ne l’ai pas compris moi-même. La première conscience de l’autre et de l’altérité, elle s’est faite quand mon école primaire à refuser de m’inscrire car j’étais marocain”, témoigne-t-il.
Pour lui, il est extrêmement difficile de faire comprendre à des jeunes d’origine marocaine ou turque de ne pas être communautaire, alors que l’on vit dans le pays le plus communautarisé au monde. “On ne s’entend même pas entre flamands et francophones. Il y a ici un contexte qui accentue les mini-sociétés dans les communautés. Il faut comprendre ce dans quoi l’on est pour comprendre ce dans quoi l’on vit. Je suis plus favorable à un “libre-ensemble” qu’à un “vivre-ensemble.” Il estime également qu’il est temps d’arrêter de regarder la société par le prisme de l’ethnico-religieux mais par le prisme de la citoyenneté. Il demande une société plus juste, plus progressiste, plus égale et plus démocrate. “Il faut arrêter de vouloir à tout prix montrer la différence car elle exclut. C’est une richesse quand elle est culturelle, mais elle devient un handicap lorsqu’elle se réduit au religieux.”
Libre penseur et militant athée
Sam Touzani atteste que par le simple fait qu’il ne croit pas en dieu, cela l’exclut de la communauté marocaine. “On me considère comme un traître car j’ai des positions laïques et critiques. On a considéré que j’avais abandonné ma religion soi-disant pour plaire aux Belges, comme si je n’étais pas belge. Je n’ai pas envie de jouer un rôle. Il faut apprendre à penser par soi-même et repenser sa pensée. Cela demande du temps. Je ne parle qu’en mon nom, je ne représente personne.” Il confie qu’il a souvent été agressé à la sortie de ses spectacles et a reçu beaucoup de menaces.
Quand on l’interroge au sujet des attentats de ces dernières années en Europe, Sam Touzani ne peut cacher son agacement. “En 2008, j’ai dit qu’il y aurait des djihadistes à Molenbeek dans quinze ans, et personne ne m’a cru ! Je savais également qu’il y aurait des attentats à Bruxelles, qu’ils toucheraient les écoles, les métros et les aéroport. C’est logique !” En novembre 2014, il se rend à la rédaction de Charlie Hebdo avec le journaliste Bruno Clément dans le cadre d’un reportage pour le magazine Questions à la Une. Sam connait bien les dessinateurs de là-bas et il considère que “Charlie Hebdo représente la liberté d’expression dans ce qu’elle a de plus irrévérencieux. S’ils touchent à ça, on est mal.” Trois mois plus tard, la rédaction est attaquée. Malgré la mort de ses amis, le comédien refuse de changer quoi que ce soit dans sa façon d’être et de parler car “avoir peur, c’est accepter la stratégie de l’ennemi”. Et c’est ce qu’ils cherchent. Donc il faut résister afin de garder notre identité.
L’identité en constante évolution
À la question de la stigmatisation éventuelle du terme “maroxellois”, le Belge, né de parents marocains, relativise : “Cela dépend du contexte, moi par exemple je n’ai pas de problème avec le mot “intégration”. Tout le monde devrait s’intégrer à tout. Le problème, c’est la récupération du mot par la politique politicienne à la veille des élections. Et là, ça devient stigmatisant.” En guise de conclusion, Sam Touzani parle du terme “identité” qu’il juge au final, “mouvant, pas stable, mais en pleine évolution”. L’avenir, c’est le mélange de tout et de tous, et il faudrait arrêter avec les strates des religions qui rendent la rencontre des différences impossible. Le comédien de 48 ans avoue qu’il n’a pas de certitude : “Je peux être radical dans mes propos mais ce que je pense maintenant n’est pas forcément ce que je penserai dans dix ans ! Il est important de pouvoir se remettre en question, tout le temps.”
Regards croisés sur les identités belges et marocaines
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