Lundi dernier, la Knesset (le Parlement israélien) a voté une loi autorisant l’appropriation des terrains privés palestiniens en Cisjordanie contre compensation. Les Israéliens ont déjà construit des colonies et des avant-postes sans autorisation sur ces terrains par le passé. Cette loi intervient peu après les déclarations de Benyamin Netanyahou sur la construction de 3000 logements en Cisjordanie occupée, seulement dix jours après l’investiture du président américain Donald Trump. Cette simultanéité des agendas met en lumière l’influence et l’arbitrage des Etats-Unis sur la question israélo-palestinienne. Mais comment se traduit-elle dans les faits ? Deux spécialistes du monde arabe et des relations internationales nous ont donné des clés de lecture sur l’essence de ces relations.
Des administrations américaines en faveur d’Israël depuis sa création
La coopération américano-israélienne n’a pas été toujours linéaire depuis 1948, mais elle reste stable du point de vue des liens économiques et politiques. Thomas Vescovi, chercheur en histoire contemporaine à l’Université de Bobigny et co-auteur du l’ouvrage « Bienvenue en Palestine » fait le point sur le rapport historique entre les deux pays : « Sous chaque président, les Etats-Unis ont toujours soutenu Israël avec une vision stratégique de la région. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Américains pratiquent une politique interventionniste notamment dans la région du Moyen-Orient. Entre les années 50 et les années 90, beaucoup de régimes dans le monde arabe ont été liés à l’URSS, comme la Syrie ou l’Irak. Il a donc toujours été essentiel pour les Etats-Unis d’avoir un allié dans cet région, à savoir Israël”.
“Cela ne veut pas dire que c’est homogène” poursuit-il, “il y a eu des moments de frictions comme en 1956, lorsqu’Israël a aidé la France et le Royaume-Uni pour lutter contre Gamal Nasser et la nationalisation du canal de Suez. Le président américain Dwight Eisenhower avait alors demandé aux Israéliens de se retirer du Sinaï. »
Cette stratégie géopolitique s’accompagne d’une coopération économique forte entre les deux pays depuis l’administration Kennedy. Le démocrate est vu comme le fondateur de l’alliance militaire américano-israélienne avec la fin de l’embargo sur les armes imposé contre Israël par Eisenhower et Truman et le début de la vente d’armes américaines à l’Etat israélien.
L’armement massif d’Israël par les Etats-Unis depuis les années 60 a été un facteur majeur dans la situation géopolitique qui paralyse encore aujourd’hui la région. « La guerre de 1967 a permis l’annexion du Sinai, de la Cisjordanie, du Golan et de Jérusalem-Est par l’Etat hébreu. Toutes les administrations américaines ont laissé faire. Même si Obama était plus tatillon, il n’a pas imposé de mesures contraignantes pour que la colonisation s’arrête » nous explique Paul Delmotte, spécialiste du Proche-Orient et de politique internationale. Avec 234 milliards de dollars versés depuis la création d’Israël en 1948, les Etats-Unis constituent le premier soutien financier de l’Etat hébreu.
Une coopération immuable pour plusieurs raisons
Pour comprendre l’impact des Etats-Unis sur la politique israélienne, il faut regarder du côté des liens qu’entretiennent les deux pays des points de vue économique et culturel. La position abstentionniste des Etats-Unis le 16 décembre dernier avait permis l’adoption d’une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU condamnant la poursuite des constructions illégales par Israël en territoire palestinien.
Cet épisode est particulièrement révélateur des tensions et conflits d’intérêt entre les deux pays. « Obama a laissé les israéliens faire ce qu’ils voulaient durant ces deux mandats, mais il était favorable à la condamnation de l’ONU à la fin de son mandat car il n’avait plus rien à perdre. Cela montre bien qu’il était tiraillé par le pouvoir des lobbys » déclare Thomas Vescovi.
Dans cette coopération immuable, l’importance du lobby israélien notamment l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) à Washington est l’une des clés centrales dans le positionnement américain en matière de politique étrangère. « Les lobbys israéliens existent et jouent un rôle du point de vue des relations internationales. Dans ce cadre-là, on peut imaginer des élus démocrates ou républicains proposer à Obama de voter l’Obamacare pour, en contrepartie, demander à l’administration américaine de laisser faire la colonisation en Cisjordanie. Il n’y a pas de documents officiels qui prouvent ces pratiques, mais nous savons qu’elles existent » affirme-t-il.
En parallèle de l’approche économique, la dimension culturelle aurait sa part à jouer dans cette coopération. « Il y a une vision commune des Etats-Unis et d’Israël par rapport à leur passé, c’est la construction d’un état moderne sur des ‘populations sauvages’. Le protestantisme est très influent aux USA et notamment les évangélistes qui ont dans leur croyance profonde l’idée que le retour du messie se fera le jour où tous les juifs seront retournés en terre sainte. L’Etat d’Israël a d’ailleurs pour projet de rapprocher les Juifs de la terre sainte. C’est d’ailleurs pour cette raison que le lobby israélien n’est pas seulement financé par des Juifs, on retrouve énormément d’évangélistes parmi les contributeurs » indique Paul Delmotte.
L’administration Trump ou l’échec prévisible d’une solution à deux Etats
Dès ses débuts en campagne, Trump se distinguait par une politique étrangère pro-israélienne affirmée. « Les Palestiniens ne luttent plus pour une indépendance nationale, mais pour une liberté nationale. La question des deux états n’est plus au goût du jour avec l’arrivée de Trump. La lutte ne sera plus pour un Etat indépendant, mais contre l’apartheid » avance Thomas Vescovi. Paul Delmotte voit également l’arrivée de Trump comme un risque d’exacerbation des tensions entre Palestiniens et Israéliens. « Une troisième intifada est possible, des attentats individuels ont déjà été perpétrés. La population palestinienne est épuisée, tout reste bloqué dans les territoires palestiniens et l’arrivée de Trump risque d’enliser la question. »
Le possible déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem suscite un tollé dans le monde arabe. Il est pour l’heure suspendu jusqu’à la visite de Benjamin Netanyahou à Washington le 15 février prochain.