“Imagine Istanbul” : l’exposition qui ne montre pas Istanbul. Elle suggère « des » Istanbul, refusant toute définition substantielle et exhaustive. Vis-à-vis d’elle-même, la ville n’existe pas. Elle prend vie au toucher d’un regard qui l’écoute, sans jamais sortir indemne de la rencontre. Elle se transforme à chaque pas qui la traverse en y déposant à son tour la trace de son relief, ses fissures et ses rides. Quatre regards croisent avec insistance le nôtre au fil de la visite : Ara Güler, Ahmet Polat, Ali Taptik et Sophie Calle proposent leur vision intime de la ville.
L’Istanbul d’Ara Güler, photographe-historien arménien
« Maintenant, il n’y a plus rien à photographier, ce n’est plus que le cadavre d’Istanbul. Tout est dans ma mémoire ». L’Istanbul d’Ara Güler est en noir et blanc, comme imperméable aux couleurs du changement contemporain de la société turque. Surnommé « l’œil d’Istanbul », le regard d’Ara Güler est teinté de nostalgie, telle l’atmosphère lourde d’une photo d’un défunt tant aimé qu’on laisse suspendue au mur du salon.
L’arrêt du temps perdu remonte aux années 1950 et 1960. Là où l’amour de sa ville natale transparaît à la lumière chevrotante d’une maisonnette de bois branlante ou encore à même le sol d’un trottoir sombre et poisseux. Dans une ambiance crépusculaire, l’Istanbul d’une autre époque existe encore un peu.
L’Istanbul d’Ahmet Polat, photographe turco-néerlandais
« Istanbul est une plaque tournante. La Turquie a longtemps été plongée dans le sommeil, mais aujourd’hui les choses changent car les gens de Turquie et d’ailleurs arrivent dans la ville, créant un mix d’histoire et de cultures. » Son Istanbul transpire d’interactions entre la tradition et la société moderne en constante mutation, qu’il cristallise dans une jeunesse aux prises avec ses ancêtres, l’histoire, la religion et la situation politique.
Son regard est double : tantôt en couleur avec ses voitures, buildings, piscines et autres emblèmes d’une société industrielle en pleine expansion, tantôt monochrome, là où l’intemporalité de la chaleur humaine semble laisser les machines dans l’ombre du hors-champ.
L’Istanbul d’Ali Taptik, photographe-architecte turc
« Nothing suprising », tel est l’intitulé d’une série de photographies qui résume l’Istanbul de l’artiste. Il joue sur le format carré de ses images, forme stricte dénotant avec le fond brouillon de la ville où suintent les déchets, les tâches et les traces laissées par les gens qui n’y restent pas. Sacs à patates, feu brûlant sur le trottoir, murs crasseux et fouillis en tous genres se frottent au cadre établi.
L’Istanbul de Sophie Calle, plasticienne, photographe et réalisatrice française
“A Istanbul, une ville entourée par la mer, j’ai rencontré des gens qui ne l’avaient jamais vue. Je les ai emmenés sur le rivage de la mer Noire. ». L’Istanbul de Sophie Calle, c’est l’Istanbul des autres : elle ne se mouille pas à nous conter sa propre vision, elle filme les yeux humides, émus, las, parfois indifférents d’autres personnes qui découvrent la mer pour la première fois.
La balade « Istanbul imagine » ne touche pas uniquement au regard des artistes ; elle altère et enrichit tout œil qui la parcourt. Notre regard voyage à travers les différentes représentations d’Istanbul et, par cet acte, en crée une nouvelle qui nous est propre. Imagine! Il y a autant d’Istanbul qu’il y a de visiteurs.