Fabrice Murgia n’a que trente-trois ans. Né de parents immigrés et ayant grandi en banlieue Liégoise, c’est son professeur de morale « dégourdi » qui l’a poussé vers le théâtre. Il ne s’y est pas rendu beaucoup dans sa jeunesse, et n’a pas lu les classiques de la littérature. Formé par Jacques Delcuvellerie à l’Esact (École supérieure d’acteurs du conservatoire royal de Liège ), Fabrice Murgia s’est nourri d’une pédagogie qui prône la singularité créatrice. Voilà pourquoi on retrouve, dans ses productions, des thèmes qui le touchent personnellement. « C’est la condition sine qua non vu que je ne m’inspire pas de textes. Il m’est difficile de partir d’autre chose que de mon vécu. J’ai fait dix spectacles mais l’un est la suite de l’autre, c’est une réflexion qui avance. » Parmi ces thèmes, on retrouve fréquemment l’exil, comme le titre d’un de ses spectacles. Tant celui de sa famille il y a des dizaines d’années que celui des migrants aujourd’hui. « Tout cela est lié au storytelling. On perçoit tout différemment quand ça nous touche, ce qui fonde un certain socle d’indignation. » L’indignation, voilà ce que le metteur en scène veut provoquer dans une salle de théâtre. La culture constitue son moyen à lui de changer le monde et, surtout, « un espace poétique nécessaire entre la place publique et le monde des décideurs ». Ses pièces veulent poser des questions d’actualité, allant des « mass shootings » dans « Le Chagrin des Ogres » à la fracture numérique et aux relations Nord-Sud dans « Black Clouds ».
“Le National est un des derniers bastions de la création”
Après six ans de création au sein de sa compagnie Artara, Fabrice Murgia endosse le rôle de directeur du National. Pour continuer de parler des thèmes actuels, il laisse, par souci de cohérence, des metteurs en scène plus jeunes prendre sa place. « Il faut savoir laisser ses préoccupations là où elles sont. Ce n’est pas du tout mon intérêt de faire un spectacle sur ce que ressent quelqu’un qui a 20 ans aujourd’hui alors que j’en ai 33. »
Le National, Fabrice Murgia le connaît parfaitement. Son public, ses coulisses, ses projets mais surtout ses collaborateurs. « Au-delà du fonctionnement, ce sont les personnes qui m’intéressent parce que les connaître permet d’insuffler un projet qui correspond à l’identité de la maison. » Après avoir fait huit mises en scène dans cet établissement (dont dernièrement « Black Clouds » qui y sera joué à nouveau en février), Fabrice Murgia se pose en successeur logique de Jean-Louis Colinet. « J’ai l’impression de poursuivre un travail que je fais depuis six ans. Simplement aujourd’hui, je dois défendre celui des autres en plus du mien. » Si le metteur en scène a choisi de postuler comme directeur dans cette institution, c’est aussi parce qu’il la considère comme un lieu unique en Europe. « C’est un des derniers bastions de la création. Les programmations partout ont tendance à s’uniformiser et on retrouve toujours les mêmes artistes. Ici, on a la chance d’avoir ce vivier francophone avec pas mal de moyens pour le laisser émerger. »
En tant que programmateur, il exige des auteurs qu’ils soulèvent des questions, comme lui dans ses pièces. Une préoccupation qu’il partage avec le « Poche », plus petit théâtre bruxellois proposant lui aussi des pièces engagées. « Ce sont des maisons qui ont des missions différentes, qui existent en parallèle mais qui en scène mettent en commun cette préoccupation du monde dans lequel on vit. »
“Aller au théâtre, c’est presque un acte militant”
Si les théâtres avaient tendance à se vider au début du millénaire, ils sont aujourd’hui pleins à craquer. « On est dans une crise profonde de la relation à l’ère de l’information et de la communication. De plus, j’ai l’impression que, suite aux attentats, les gens ont de plus en plus envie d’être ensemble. Et aller au théâtre, c’est presque un acte militant. C’est se dire : je vais affronter l’endroit de la dernière expérience collective. »
Les attentats font partie des sujets contemporains qui le touchent particulièrement. En tant que directeur de théâtre, cela constitue une des missions qu’il se confie : parler à ces jeunes qui en arrivent à se faire sauter dans le métro. Pour cela, il a pour projet de parler de la jeunesse, mais aussi de lui donner la parole. « Pas seulement via des jeunes artistes mais aussi à travers les expériences qui mélangeront les citoyens et le tissu artistique. De plus, je pense que si on est en lien avec les thématiques de son époque, on parle forcément à la jeunesse étant donné qu’on parle du monde dans lequel elle a éclos. »
S’il a moins de projets théâtraux dans les années à venir, ce n’est pas pour autant que Fabrice Murgia met de côté la création. Après ses apparitions au cinéma et à la télévision (« Odette Tout le Monde », « Melting Pot Café »), il est prêt à se placer de l’autre côté de la caméra avec un projet de court-métrage, dont la réalisation a débuté en décembre. « C’est l’histoire d’un metteur en scène qui doit terminer une pièce. Il apprend que son père est mourant et il doit faire un choix : terminer son œuvre ou aller au chevet de son père. » Fabrice Murgia ne prend pas trop de risques donc, en restant, comme à son habitude, dans son domaine. Il coopérera sur ce projet avec son frère, David Murgia, ainsi qu’avec Sergi López, qui interprétera le rôle principal.
En quatre dates
2006 : est remarqué pour son rôle dans « Odette Tout le Monde » d’Eric-Emmanuel-Schmitt.
2007-2010 : joue un des personnages principaux dans la série « Melting Pot Café ».
2009 : explose sur la scène théâtrale avec sa pièce « Le Chagrin des Ogres » soutenue par Jean-Louis Colinet.
2016 : est nommé directeur du Théâtre National de la Communauté française avec 80% des voix.