« Si tu as 300 likes ou plus, tu es considéré comme “populaire” ; entre 100 et 200 likes, tu es plutôt bien ; et si tu as 25 likes, alors tu es considéré comme un “paumé”. Je suis donc contente d’avoir entre 200 et 250 likes », m’écrit Zoé, 15 ans. J’en ai en moyenne 70 et mes aînés encore moins… Est-ce grave docteur ?
Une quête de « popularité »
Publier toujours plus de photos pour récolter toujours plus de likes, c’est ce qu’Yves Collard, formateur en éducation aux médias à Media Animation, a nommé « l’egocentration », que l’on appelle plus communément la “popularité“. “Il y a tout qui change chez eux, à commencer par le corps”, explique le spécialiste. “Le regard que l’on porte sur les adolescents est différent de celui que l’on porte sur les enfants. Ils ont besoin d’être un peu au centre du monde.”
Le témoignage d’Adèle, 16 ans, confirme cette idée : « Il faut quand même admettre que quand une photo produit beaucoup de likes, ça fait plaisir, dans le sens où les autres l’ont trouvée chouette, ou drôle. S’il y avait un pouce vers le bas, je serais triste que les autres me trouvent “nulle”. » Pourtant, selon Yves Collard, le like n’a pas toujours la fonction imaginée.
Être ou paraître ? Le risque de la mise en scène
Selon Paul Flasse, consultant en bien-être psycho-social, ce besoin de reconnaissance a toujours été primordial pour chacun d’entre nous. « Dans toute relation interpersonnelle, la relation est basée sur trois niveaux », détaille-t-il. « L’inclusion est le premier aspect : on est reconnu en tant qu’être humain. Il y a ensuite le contrôle : on a la main sur ce que l’on fait et sur ce que l’on ne fait pas. Enfin, le troisième niveau de reconnaissance est l’ouverture, ce qui signifie qu’on a le droit d’être authentique sans être en danger. »
Mais alors, est-ce que cette nécessité de reconnaissance a t-elle une conséquence sur le quotidien des utilisateurs des réseaux sociaux ? Afin de montrer une image flatteuse d’eux-mêmes, ces derniers peuvent avoir recours à la mise en scène. « Il y a un risque à ne plus agir en fonction de ce que l’on est vraiment mais en fonction de ce que l’on veut laisser paraître », analyse Paul Flasse. « Dans ce cas, on n’est plus dans la sincérité mais on bascule dans la fuite ou la manipulation. Le risque du paraître, c’est que l’on passe à côté de l’“être”, et une fois passé à côté de “’l’être”, on rate l’essentiel. »
« Il suffit d’enjoliver la réalité »
Nina reconnait avoir recours à la mise en scène, ce qui ne l’empêche pas d’être critique : « Pour que les autres aient une chouette image de nous, on publie sur Facebook. Pour cela, il suffit d’enjoliver la réalité, en rajoutant des effets, en ne publiant que les photos où on est beaux ou entourés de nos amis, pour que notre vie ait l’air parfaite. Peu de gens publient des photos d’eux au réveil, seuls et en pyjama… Des photos pas très flatteuses. »
Adèle, pour sa part, accorde moins d’importance au regard des autres : « Je poste beaucoup moins de photos qu’avant, parce que je n’ai pas envie de me prendre la tête sur l’avis des autres et sur ce qu’ils pensent de ma vie. En fait, je ne devrais même pas en poster. »
Certains préjugés sur ce nouveau mode de communication
Lorsqu’on évoque ce sujet, les mêmes remarques reviennent fréquemment : « Cette vie numérique et idéalisée est “fausse”. » Ou encore : « Ces jeunes sont narcissiques à force de se prendre en photo. »
Je l’avoue, j’ai moi-même eu recours à ce genre de discours. Pourtant, Yves Collard nous invite à ne pas tomber dans ces préjugés. « On le constate constamment, le numérique fait partie du réel. C’est une dimension supplémentaire, de la réalité augmentée en quelque sorte. Dans la réalité physique, on triche aussi : on met de la crème anti-rides par exemple. C’est une erreur de cliver à ce point la “vraie vie” et les réseaux sociaux qui ne seraient jamais “qu’un univers de tromperie et de mensonge”. Il faut cesser de diaboliser le terrain d’expression des jeunes. Les adultes sont dans le même schéma mais les jeunes le font davantage et avec un autre esprit peut-être. » Il ajoute : “Il faut arrêter de patholigiser ces nouvelles pratiques communicationnelles.”
La nouvelle génération s’est donc appropriée les réseaux sociaux, tout comme les précédentes se sont emparées de la radio, du cinéma ou encore de la télévision. À chaque crise identitaire nait ce besoin d’exister.
Marion De Braekeleer