Sensibiliser 700 000 personnes au commerce équitable ? C’est le but énoncé par l’organisation Fairtrade Belgium (anciennement Max Havelaar) qui a lancé, le mardi 3 octobre “La plus grande Manif” dans le cadre de la semaine du commerce équitable. Au pied du Palais de justice, les membres de Fairtrade Belgium ont incité les citoyens à réveiller l’activiste enfoui en eux.
« On ne veut pas faire manifester les gens dans la rue. On veut qu’ils agissent dans les magasins, où ils possèdent un pouvoir énorme pour changer les choses » explique Bernard Buntinx le porte-parole de Fairtrade Belgium.
« Les citoyens sont des acteurs. Les consommateurs peuvent se fédérer pour arriver à faire pression. »
Parmi les manifestants, Pierre Galand, ancien secrétaire d’Oxfam et fervent défenseur du commerce équitable, confirme : « Les citoyens sont des acteurs. Les consommateurs peuvent se fédérer pour arriver à faire pression, d’abord sur une éducation populaire et ensuite sur des acteurs publics ». En achetant plus de produits issus du commerce équitable, les consommateurs envoient un message clair aux enseignes de la grande distribution : ils montrent que le sort des producteurs leur importe. Et si le consommateur change son attitude, les marques n’auront d’autre choix que de s’adapter également. Le client est roi. Il l’a déjà démontré de nombreuses fois, en parvenant par exemple à faire en sorte que l’enseigne Système U bannisse des substances toxiques de ses rayons.
Le commerce équitable, un enjeu pour tous ?
La démarche de Fairtrade résulte d’un constat : une personne sur neuf dans le monde vit sous le seuil de pauvreté. Et, parmi ces gens, 75% sont des agriculteurs. L’occasion pour le label de légitimer son action et de rappeler l’importance d’un revenu décent pour tous.
Le consommateur aurait tout intérêt à aider les producteurs, souvent originaires de pays pauvres. Si un agriculteur/producteur gagne plus, il pourra investir cet argent, augmenter sa production et le réinvestir à nouveau. Au fil du temps, sa vie et son pouvoir d’achat vont s’améliorer. Un pouvoir d’achat majoré crée, à terme, un nouveau marché d’exportation pour les pays occidentaux. Ce cercle vertueux n’est cependant possible qu’avec une rémunération juste au départ.
Plus équitable, plus onéreux
Le commerce équitable a pourtant du mal à sortir de sa niche. Le Belge dépend a peine 10 euros par an dans les produits issus du commerce équitable. Ceci est en partie dû à une différence de prix relativement importante qui décourage le consommateur. “Avec la crise économique, c’est clair que les produits équitables sont moins populaires. Ici, nous vendons par jour en moyenne une bonne vingtaine de caisses de bananes premier prix, contre seulement deux caisses de bananes Fairtrade” indique un cadre de l’enseigne Delhaize.
L’un des principaux freins au développement du commerce équitable est en effet son coût. L’ancien label Max Havelaar revendiquait dans sa communication une différence de prix relativement mince. Ainsi, le prix moyen d’un kilo de bananes Fairtrade reviendrait à 1,89 €/kg. Comparé à un kilo de bananes classiques qui reviendrait, lui, à 1,09 €/kg.
Nous nous sommes rendus dans plusieurs grandes surfaces pour vérifier ces chiffres. Les prix au détail des bananes non-labellisées Fairtrade y oscillent entre 1 €/kg pour les premiers prix jusqu’à 2 € pour l’incontournable banane Chiquita. Les bananes labellisées Fairtrade, quant-à-elles, se vendent entre 1,79 €/kg et 2,20 €/kg. Les chiffres annoncés par Fairtrade sont donc de manière générale fidèle à la réalité, mais entre la banane la moins chère et la banane Fairtrade, l’écart de prix reste très important.
La différence est encore plus marquée pour d’autres produits. Notamment le riz où il faut carrément multiplier par deux les 2,14 €/kg d’un riz classique pour arriver au 4,74 €/kg Fairtrade. La différence de prix est donc, dans certains cas, bien plus importante qu’annoncée par les labels. Ces exemples permettent d’entrevoir une réalité moins flatteuse pour le commerce équitable, celle d’un commerce juteux.
Un business comme un autre
Aujourd’hui, le commerce équitable est sujet aux critiques. Le Monde Diplomatique a, en septembre 2007, dénoncé les abus de ce commerce, en dénonçant particulièrement le label Max Havelaar. Pour certains, ce commerce alternatif est devenu un business comme un autre. Il y a une instrumentalisation du commerce équitable, de telle sorte qu’aujourd’hui, McDonald propose un café équitable… Dans ce secteur se retrouvent des sociétés privées privilégiant généralement le versement de dividendes à leurs actionnaires aux salaires de producteurs. Ce qui pose évidemment question sur le bien-fondé de leur démarche.
Un cadre travaillant pour l’enseigne Delhaize nous explique l’envers du décor. “Le principe de base de ce commerce est de donner un revenu décent aux producteurs et de supprimer autant que possible les intermédiaires. Ils payent en effet leurs producteurs 30% de plus que les autres marques. Cependant, en devenant le seul intermédiaire, ils empochent toute la marge bénéficiaire. C’est donc un commerce extrêmement lucratif pour les marques historiques du commerce équitable, qui profitent de l’image qu’ils ont, pour conserver leur propre marge, initialement partagée entre plusieurs acteurs, et dégager ainsi de gros bénéfices.”
Si le marché a du mal à sortir de sa niche, il est toutefois en augmentation. Celui-ci a, en effet, connu une hausse intéressante de son chiffre d’affaire en 2016 (+23% pour les produits vendus dans le retail, selon Fairtrade). Le nombre de famille ayant consommé au moins une fois durant l’année un produit issu du commerce équitable est également en hausse (+18%).