Erick De Armas est le genre de personne qui, en dépit de sa petite taille, vous fait sentir tout petit. Après un « hola » jovial en guise d’accueil, il se livre autour d’un thé. Après plusieurs tentatives d’évasion de son pays natal, Cuba, il a acquis le statut de réfugié politique en Belgique. Pour les étudiants de l’IHECS, il a accepté de faire le récit de son parcours pour le moins hétéroclite.
Malgré sa trajectoire difficile, il répond aux questions sans aucune gêne, ponctuant certaines parties de son récit de vie (souvent les plus dures) par un rire tonitruant. C’est cela qui fait toute la beauté du personnage : Erick montre la force de quelqu’un de joyeux et optimiste, résolument tourné vers l’avenir.
Une envie de liberté
Né dans les années 60 à La Havane, il y vit jusqu’à l’âge de 29 ans. Enfant, il saluait le drapeau, chantait l’hymne national et entonnait la devise « Si j’avance, suis-moi, si je m’arrête, pousse-moi, si je recule, tue-moi ! » Fils de communistes convaincus, il écoutait régulièrement les discours de Fidel Castro.
Poussé par sa mère, il présente dès l’âge de 7 ans un programme télévisé, chante à la radio dans le Chœur des enfants de l’Institut cubain et joue également au théâtre. Erick entreprend ensuite des études de médecine. Il exercera cette profession, dont il est passionné, jusqu’à son départ de Cuba.
Très vite, il commence à avoir envie de partir, envie d’une nouvelle vie où l’on ne doit plus “faire le pain” (NDLR : sympathiser avec les touristes en espérant recevoir un bien matériel en retour), ni se contenter de rêver d’une autre paire de chaussures que celle que l’on peut recevoir avec des coupons.
Après deux tentatives pour s’enfuir de Cuba en radeau, il finit par quitter La Havane en 1994. Grâce à un ami vivant en Belgique, il réussit à obtenir l’autorisation de partir un mois à l’étranger. C’est à Bruxelles qu’il demande alors l’asile politique. Il est depuis ce jour officiellement exilé de son pays natal.
Un combat pour exercer son métier
Son diplôme de médecine n’étant pas reconnu en Belgique, il vit près de dix ans sur la sécurité sociale. Une situation qu’il détestait par dessus tout : « Tu deviens une charge pour l’Etat, alors que tu pourrais participer ! Tu dois vivre sur les impôts des autres. »
Après avoir appris que son diplôme était valable en Espagne, il s’envole pour Barcelone où il exerçe la médecine jusqu’à la crise économique de 2007, « quand la situation était devenue insupportable ». De retour en Belgique, son expertise est enfin reconnue. Actuellement, il est médecin assistant dans un hôpital de Bruxelles dans le service gériatrie. « J’adore mon travail, ce contact avec les gens. Les vieux ont toujours un sourire, un mot gentil pour toi. »
“Un tel point de désespoir pour vouloir s’enfuir en radeau”
Très enthousiaste quant à son travail de médecin, Erick de Armas a toutefois conservé et exploité sa passion pour la musique. Depuis son arrivée en Europe, il a sorti deux disques : « Alivio y Recuerdo », sorti en 2006, et « Vida Moderna » en 2012. Chanteur mais également parolier, Cuba et son passé sont des thèmes qui reviennent régulièrement dans ses compositions.
Il raconte également son histoire dans son roman d’inspiration autobiographique (“Elena est restée… et papa aussi”, Editions Actes Sud, 2007). Un livre où, comme à l’oral, il raconte tout sans détours. « J’ai écrit ce livre pour tenter de faire comprendre comment on arrive à un tel point de désespoir pour vouloir s’enfuir en radeau. Ah ! Et pour montrer à la gauche caviar, ceux qui prétendent être de gauche et mettent un T-shirt du Che Guevara le dimanche (rires), ce que c’était vraiment. Pour leur montrer à quel point ils sont ridicules. »
Quand on lui demande s’il rêve de retourner à Cuba, Erick est catégorique. « Retourner à Cuba ? Je n’en ai pas envie. J’ai peur d’être nostalgique, c’est peut-être un mécanisme de défense. Lâche ? Sans doute. A vrai dire, je n’y pense quasiment jamais. Même si pour les gens, je marche cubain, danse cubain et respire cubain, je me sens entièrement belge. Je suis un Cubelge en fait ! »
Portrait réalisé par Bonnie Dubois