Un quartier à l'ouest : Cureghem
Cureghem. L'arrêt du tram 81 est planté sur un pont, au-dessus du canal.
Anderlecht fait partie de ces communes bruxelloises coupées en deux par le canal.
A l'ouest, la rue de Wayez remonte vers Saint-Guidon.
Avant, ici il y avait de beaux magasins, aujourd'hui on ne vend que du bazar
L'octogénaire mélancolique sort d'une boulangerie. Elle a toujours vécu dans l'Anderlecht de l'ouest :
"je ne suis pas raciste hein, mais je ne me sens plus chez moi."
Elle n'a plus aucun contact avec les commerçants et se sent seule.
Pourtant ce n'est pas l'animation qui manque dans la rue.
Les trams fendent les pavés dans un vacarme régulier et les magasins en tous genres débordent sur les trottoirs.
Il faut slalomer entre les boutiques de seconde main, la multitude de snacks et de boucheries halal,
les boulangeries marocaines ou turques, et la dizaine de magasins de chaussures et
le monde dans la rue ne facilite pas la tâche.
"C'est vrai" confie une autre dame, "il y a beaucoup de bazars qui vendent de tout et de rien,
mais moi j'y trouve toujours ce qu'il me faut".
Ses cheveux bouclés et grisonnants, son châle corail et ses lunettes rondes participent sûrement à l'air
bienveillant qu'elle dégage.
Elle a vécu dans les communes de l'est de Bruxelles et pour rien au monde ne voudrait y retourner :
"il y a beaucoup d'étrangers ici mais c'est la vie, il faut s'y habituer, et c'est tellement plus vivant comme ça".
13h, c'est la pause du midi pour les écoliers. Le soleil brille, il fait même chaud pour une fin d'octobre.
Un peu plus loin, sur la place de la Résistance, des étudiantes mangent. Trois jeunes filles, dont deux portant
le voile, expliquent qu'elles sont originaires du Maroc : "C'est dénigrant de dire qu'il n'y a que des étrangers ici".
A l'école, elles sont amies avec tout le monde "des Congolaises, des Turques, des Belges".
"Ca apprend à vivre ensemble" dit la plus jeune.
Derrière elles, deux autres filles papotent : "Mes parents sont Belges.
Ils disent qu'il y a beaucoup d'étrangers mais c'est chacun de son côté. On n'a pas de problème avec eux".
De l'autre côté de la place, le Centre public d'action sociale ouvre ses guichets après la pause du midi.
Le bâtiment est propre et l'ambiance feutrée. On se croirait dans une médiathèque,
où les parents emmènent leurs enfants passer l'après-midi. Un employé nous rejoint de l'autre côté de la vitre blindée :
"Je n'aime pas cette vitre, on ne s'entend pas, ça rend le contact agressif."
Pour lui, il n'y a aucun problème dans le quartier, les gens vivent bien ensemble et le centre aide tout le monde.
"On n'est pas supposé parler arabe, mais moi je le fais quand c'est nécessaire et mon patron ne s'y oppose pas".
Dans la file devant les autres guichets, la mixité est à l'honneur, et comme pour contredire cet a priori,
l'employé précise : "La plupart des sans-abris que nous aidons sont belges d'origine."
Ce sont des gitans
A l'angle de la rue, la mosquée, gigantesque mais discrète, est construite dans le style des maisons de maître qui la jouxtent.
L'Imam sort de la pénombre par la grande double porte de style mauresque qui donne sur un petit patio.
Il explique patiemment qu'il n'aime pas s'adresser à la presse qui déforme souvent ses propos.
Fort occupé, il attend de 2.500 à 3.000 personnes pour la prière de 16 heures. Dans la petite rue qui mène au patio,
des femmes et quelques enfants attendent à la sortie, voile sur la tête et sachet plastique en main.
"Ce sont des gitans", affirme l'Imam. "Elles portent le voile mais ne sont pas musulmanes, c'est pour mendier",
ajoute-t-il, d'un air détaché.
Un professeur d'économie d'origine congolaise attend son bus quelques mètres plus loin.
Sa voix porte dans toute la rue : "Celui qui dit que c'est un cliché est un menteur" scande-t-il.
Pour lui, l'ouest de Bruxelles est un ghetto et la situation va "exploser" si les loyers continuent à dicter leur loi.