Cinq passionnés racontent la gastronomie bruxelloise
Rencontre avec Denis Balencourt, Lionel Rigolet, Philippe Limbourg, Christophe Hardiquest et Pierre Marcolini.
Le Bruxelles Bondy Blog est parti à la rencontre de personnalités de référence.
Par leurs expériences et parcours singuliers, elles ont permis d’esquisser les contours de cette fameuse gastronomie bruxelloise.
Denis Balencourt, chroniqueur culinaire pour le blog madamemonsieur.be
"Il est très complexe de caractériser un type de cuisine bruxelloise. Les bons plats se définissent, selon moi, par des associations et des arrangements typiquement locaux tels que notamment le fromage de Bruxelles, le Lambique (cette bière à la fermentation spontanée), les escargots de mer, le chou fermenté, le boudin noir servi avec sa compote de pommes de terre, le Zenne Pot. Tous ces produits sont par essence liés à la présence de la Senne en ville. On ne la voit plus mais elle est toujours bien présente. C’est presque breughélien comme conception de la gastronomie.
Toute cette bonne vieille cuisine est désormais traitée dans une perspective plus élaborée.
Le chef Lionel Rigolet contribue également à perpétuer cette tradition. Le Comme chez Soi,
est encore un de ces monuments de l’art culinaire à Bruxelles."
Lionel Rigolet, chef du restaurant Comme chez Soi
"Avant, chaque restaurant avait ses propres spécialités. Aujourd’hui, les distinctions sont moins affirmées. On mange de tout chez tout le monde. C’est donc d’autant plus complexe de se distinguer en tant que restaurateur à Bruxelles. La concurrence est rude.
Pour y parvenir, il faut être à l’écoute de son client, surtout ne jamais le tromper et pouvoir se remettre en question tous les jours."
Lionel Rigolet et son épouse sont aux commandes du Comme chez Soi depuis 2006. Photo : Tryptique/Blueclic
Un retour à l’essentiel nécessaire
"Le problème de beaucoup de jeunes chefs aujourd’hui est qu’ils veulent très vite apprendre à maîtriser des espumas (mousse légère réalisée à l’aide d’un siphon) mais ne connaissent plus leurs classiques. Ils oublient comment travailler un jus, une sauce… Au Comme chez Soi, nous sommes l’un des rares restaurants en Belgique à encore pratiquer le service de repasse. Quasiment plus personne ne fait ça. Dans beaucoup de restaurants, vous avez un trait de sauce sur l’assiette et c’est tout. Ici, nous avons toujours mis en valeur l’importance d’une bonne sauce.
Petit à petit pourtant, la gastronomie tend à revenir vers une cuisine de goût, une cuisine simple aux plats gourmands."
Philippe Limbourg, directeur de Gault&Millau Benelux
"On a un niveau gastronomique assez élevé en Belgique. A Bruxelles, c’est encore plus marqué de par sa diversité.
Le meilleur Grec du monde hors de Grèce se trouve à Bruxelles ! Ici, il y a mille raisons d’aller manger :
une réunion, une sortie, un rendez-vous galant, un truc sur le pouce entre un avion et un train…Ce sont toutes
ces raisons qui forment cette énorme diversité. Et c’est ça qui forme la richesse de Bruxelles."
Philippe Limbourg a su, au fil de sa carrière, a su faire du plaisir de bien manger son métier. Photo : Gault&Millau
Critique gastronomique, un métier à la recherche du résultat
C’est un métier qui se base sur l’analyse comparative et non pas sur l’analyse fonctionnelle.
Je veux dire par là que c’est le résultat qui compte, sans bien sûr négliger la qualité pour autant.
Un de meilleurs exemples de cette façon d’envisager la cuisine est le chef français Joël Robuchon,
qui est la référence au monde pour sa purée de pommes de terre. Aujourd’hui, il utilise des dés de pommes de terre congelés.
Si au goût, c’est la même chose, voire mieux, pourquoi s’en priver ?"
Le gastronomique, inabordable ?
"Il est faux de penser que la gastronomie est inaccessible. Le menu type : américain frites salade,
croquettes aux crevettes et dame blanche dans une brasserie à midi, revient très vite au prix d’un lunch gastronomique.
La question fondamentale est la suivante : le client veut-il bien manger ou cherche-t-il uniquement quelque chose de bien fait ?"
La révélation de l’édition 2015 du Gault&Millau ?
"Christophe Hardiquest, chef du Bon-Bon, sans hésiter. C’est la première
fois depuis des années que quelqu’un d’autre que Peter Goossens du Hof van Cleve atteint la note de 19,5/20 au
Gault&Millau. Bon-Bon, c’est un seul menu et tout est fait minute. Aller chez lui,
c’est véritablement vivre une expérience culinaire extraordinaire. Là, ce n’est plus de la cuisine du quotidien, on est au sommet."
Christophe Hardiquest, chef du restaurant Bon-Bon
Lors du Chef’s Place à l’Horeca Expo de Gand en novembre dernier, le chef Christophe Hardiquest du restaurant Bon-Bon proposait sa version d’un plat du terroir tout en raffinement. Le résultat ? Une conception de la gastronomie bruxelloise surprenante, tout en raffinement.
Pierre Marcolini, maître chocolatier
Le secteur de la restauration en crise
"Aujourd’hui, mon regard est plutôt critique vis-à-vis de la gastronomie bruxelloise. Je n’en veux pas aux restaurateurs,
j’en veux simplement au système. Le fait qu’on ait touché à la note de déductibilité des restaurants il y a quelques années,
a créé un séisme dont on ressent seulement les effets aujourd’hui. Très simplement car la gastronomie est ce qui va nous tirer vers le haut.
Elle induit un service à la française. Les Français ont d’ailleurs beaucoup plus défendu leur gastronomie, à la différence de nous.
Ils ont bien compris que derrière ce métier de savoir-faire, il y avait une constellation d’autres domaines sous-jacents qui y sont
liés. Par cette crise de la restauration, des tas d’autres entreprises ont périclité."
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Une gastronomie bruxelloise mise au pilori
"Nous sommes rentrés dans un système où le monde de la gastronomie bruxelloise est perçu comme un monde cher et fermé.
On a plutôt tendance à le dévaloriser. On n’ose pas en parler dans les médias…La gastronomie bruxelloise a été mise au pilori.
Aujourd’hui, les touristes ne prendraient plus l’avion pour un trip gastronomique à Bruxelles. Ils iraient à Londres, à Copenhague…Là
où ça bouge dans tous les sens. Nous, nous sommes un peu en retard sur les autres. C’est dû au poids du passé et à la peur d’innover.
Aujourd’hui, la gastronomie bruxelloise en tant que telle n’existe plus, c’est la bistronomie qui tend à la remplacer."