Un tiers des avocats peine à joindre les deux bouts à la fin du mois et certains ne pourraient même pas survivre s’ils habitaient seuls. Le mythe de l’avocat riche et puissant s’effondre. La raison ? Beaucoup d’entre eux sont des avocats pro deo.
Le principe du système pro deo (aide juridique), mis en place en 1998, est d’offrir une défense totalement ou partiellement gratuite aux personnes avec de faibles revenus. Ainsi, toute personne isolée habitant en Belgique a droit à une défense gratuite si son revenu est inférieur à 942€ (1.210€ pour les cohabitants). Dans ce cas, les avocats ne sont pas payés par leurs clients, mais ils obtiennent une indemnité de l’Etat. Ce n’est pas un salaire.
Heureusement que mon mari est là et qu’il gagne bien sa vie, sinon je ne serais pas capable de payer ce dont mes filles ont besoin.
Ce système, mis en place en 1998, avait pour but d’aider les avocats stagiaires à se constituer une clientèle et à démarrer dans la profession. A cette époque, seuls les stagiaires avaient le droit de faire du pro deo pour acquérir une certaine expérience. Depuis 2008, tous les avocats peuvent prendre en charge des dossiers pro deo. A Bruxelles, on compte 1.900 avocats inscrits en aide juridique de seconde ligne (c'est-à-dire qui font du pro deo) et de 600 à 800 avocats qui font du pro deo à titre principal, voire exclusif.
Une enveloppe fermée
Les avocats pro deo ne sont pas payés en tant que tel, mais ils reçoivent des points. Chaque dossier équivaut à un certain nombre de points en fonction du secteur dans lequel travaille l’avocat (droit des étrangers, droit de la jeunesse, etc.). Chaque action prise par l’avocat est récompensée : un avocat qui s’occupe d’un cas de Cour d’assises recevra 15 points, une audition au commissariat de police vaut 6 points, une simple consultation est récompensée d’un point seulement.
L’avocat récolte ainsi un maximum de points tout au long de l’année. A priori, pas de problème à déclarer dans ce système. Cependant, le point noir de cette organisation est que l’enveloppe prévue chaque année par le gouvernement pour rémunérer ces points est fermée. Donc, plus il y a de dossiers et de points gagnés, plus cette enveloppe devra être divisée entre tous les points de tous les avocats de Belgique. Chaque année, le gouvernement fait en sorte que la valeur du point soit équivalente à plus ou moins 25€. En 2014, ce point valait 25,76€. Il en vaudra 24,76€ en 2015. Cette valeur est calculée une fois pas an ; l’avocat reçoit donc tout son salaire annuel une fois par an. Dans l’absolu, on peut considérer un point comme une heure de travail. Un avocat pro deo reçoit donc environ 25€ brut par heure, ce qui représente, en net, un montant aux alentours des 12€.
Nous sommes allés à la rencontre de différents avocats pro deo et une conclusion s’impose toujours : avec leur simple salaire d’avocat pro deo, ils ne pourraient pas vivre. « Heureusement que mon mari est là et qu’il gagne bien sa vie, sinon je ne serais pas capable de payer ce dont mes filles ont besoin », déclare Elisabeth de Callatay, avocate depuis plus de vingt ans. Olivier Dupont, quant à lui, est contrarié : « Je ne comprends pas comment certaines personnes peuvent s’offusquer quand je leur demande 100€ pour deux rendez-vous et trois lettres, alors qu’un photographe de mariage demandera 2.000€ pour une journée et que ça ne dérange personne de payer une telle somme. »
Avec ce système de points, les avocats pro deo n’ont aucune idée de ce qu’ils gagneront l’année qui suit la clôture de leurs dossiers. Et, comme partout, les bruits de couloir fusent au sein de la profession. « Il y a eu des rumeurs qui couraient selon lesquelles le point serait à 17€ pour l’année prochaine, seulement. J’avais l’espoir qu’il reste à 25. Finalement, il sera à 24,76€. Heureusement ! Sinon je ne sais pas comment j’aurais payé mon prêt hypothécaire », explique Maître Dupont.
Social malgré tout
Malgré l’état d’incertitude dans laquelle il place les avocats, ce système permet de venir en aide à de nombreuses personnes, afin que tous aient la chance d’être défendus correctement. Avec la paupérisation de Bruxelles, 30 à 40% de la population entrent aujourd’hui dans les critères pour faire appel à un avocat pro deo. Les personnes issues du CPAS ainsi que les personnes âgées avec un certain type de retraite y ont droit automatiquement. Pour les autres, elles doivent être en mesure de prouver l’état de leurs revenus. « Ce système permet d’aider une population qui en a besoin et mon travail prend alors des allures plus sociales », raconte Maître Olivier Dupont.
Les défaillances du système
Des critères clairs et précis donc, mais qui n’empêchent cependant pas certaines injustices. « Parfois, je reçois dans mon bureau des gens qui gagnent 10 centimes de trop pour avoir droit au pro déo. C’est cruel, mais c’est comme ça. Parfois, je reçois des clients qui arrivent dans des voitures que je ne pourrais pas me payer, je ne peux alors pas m’empêcher de penser qu’il y a quelque chose de louche », explique Olivier Dupont.
Autre cas, rare mais possible, si un dossier est fini et que l’avocat réclame un certain nombre de points, le Bureau d’aide juridique (BAJ) peut lui refuser l’octroi de ces points car il manque un document. Le dossier n’est dès lors pas considéré comme complet. L’avocat aura alors travaillé pour rien.
Autre exemple envisageable, si le BAJ déclare qu’une telle personne a droit au pro deo, elle se verra désigner un avocat. Cependant, si le BAJ se rend compte par la suite qu’il a commis une erreur et que la personne ne rentre pas dans les critères du pro deo, l’avocat ne sera pas payé par l’Etat et la personne ne sera pas obligée de payer les honoraires elle-même. Un système complexe donc.
Dernier détail important, si une personne revient « à meilleure fortune », ce qui signifie qu’elle change de statut et qu’elle est désormais en mesure de payer un avocat, l’Etat a trente ans pour lui réclamer un remboursement du pro deo. Cependant, avec le nombre de dossiers traités par an, l’Etat ne prend presque jamais la peine de les ré-ouvrir afin de vérifier. Malgré la difficulté pour l’avocat d’exercer son métier correctement, ce système a malgré tout de nombreux points positifs. En effet, il permet à un avocat qui n’a pas envie d’entrer dans un cabinet d’avoir une clientèle qui ne désemplit pas. « J’ai trois enfants et j’ai arrêté de travailler pendant des années pour pouvoir m’occuper d’eux. Sans le pro deo, je n’aurais jamais la clientèle que j’ai aujourd’hui », nous dit Maître de Callatay. On peut donc concéder au système le mérite de donner du travail à des avocats qui n’en auraient pas autrement.
Service de moindre qualité
D’après les avocats interrogés, le travail est réalisé de la même façon consciencieuse que le cas soit traité en pro deo ou non. « Je fais toujours mon possible pour défendre mon client, pro deo ou pas. Si je vois que ce n’est pas possible, je ne prends pas le dossier », raconte Olivier Dupont. Le Bureau d’aide juridique (BAJ) nous confirme ses dires, la justice est rendue de la même façon malgré la surcharge de travail. Tous les ans, le BAJ fait un rapport détaillé sur chaque avocat pro deo afin de contrôler la qualité de leur travail.
De plus, les avocats voulant faire du pro deo sont obligés, chaque année, de suivre différentes formations afin d’être toujours plus performants, ce qu’un autre avocat n’est pas obligé de faire. Ces formations, prises sur leur temps de travail, sont payées par l’avocat pro deo lui-même ! Des formations obligatoires, payés à leurs frais. Les avocats pro deo ont dès lors une formation continue afin d’être toujours à la page.
Le statut de l’avocat pro deo est délicat. D’un côté, nous avons un système qui se veut social, en proposant une justice pour tout le monde. De l’autre, les avocats qui ont parfois du mal à être reconnus pour le travail qu’ils font. Il est très difficile pour les avocats de trouver un juste milieu entre cause sociale et travail rentable.