Le Berlaymont, le Conseil, la Commission, tous ces bâtiments rassemblés autour du rond-point Schuman suscitent les critiques depuis des années. Pourquoi sont-ils si moches ?
Le rond-point Schuman n’a pas toujours ressemblé à cette cacophonie visuelle. Il y a presque 100 ans, ce quartier n’avait rien du centre européen qu’il est aujourd’hui. A l’époque, en lieu et place de la Commission européenne, était établi le couvent et pensionnat des Dames de Berlaymont, en plein quartier bourgeois. Cette école accueillait les jeunes filles de bonne famille.
Le pensionnat du Berlaymont avant sa destruction (Source : Union européenne, 2015)
En face du couvent se trouvait le Résidence Palace, un complexe d’appartements de luxe conçu comme une sorte de paquebot art deco dans lequel il y avait un service de jour et de nuit, une piscine, un théâtre… Les maisons bourgeoises et les hôtels de maître se côtoyaient dans les rues.
René Schoonbrodt, co-fondateur de l’Atelier de recherche et d’action urbaines, raconte : « C’était déjà un peu un quartier mort avant la construction du Berlaymont [le bâtiment européen]. Madame la Comtesse X rencontre la Baronne de Machin… c’est un peu chiant. C’était un endroit trop homogène pour être sympathique. Sans commerce, sans rien. Sauf la chaussée d’Etterbeek, où on retrouvait les artisans, les boulangers, les charcutiers et un producteur de vinaigre ».
Cette situation a changé après la guerre lorsqu’est apparue la société de consommation, explique René Schoonbrodt. D’une part, les sociétés d’entrepreneurs voient dans le quartier Léopold l’espace suffisant pour la construction d’un complexe administratif. D’autre part, l’usage de la voiture se généralise et les bourgeoises commencent à conduire. Leurs familles décident alors de quitter Bruxelles et de partir pour Waterloo. Soumises à la pression de plus en plus insistante des promoteurs, les béguines partent s’installer elles aussi à Waterloo, dans le faubourg d’Argenteuil, et vendent l’établissement du Berlaymont en 1958 à l’Etat belge, juste après la mise sur pied de la Commission européenne.
Vue du Berlaymont en construction (Source : Union européenne, 2015)
Différentes villes ont été évoquées pour accueillir les infrastructures européennes, poursuit René Schoonbrodt : « On a parlé de Tervuren, ce qui aurait été plus intelligent sur le plan bruxellois. On a pensé à Liège aussi, figurez-vous, mais les Flamands n’ont pas voulu, bien évidemment. Les Bruxellois, enfin les Belges, ont dit « A Bruxelles ! » et « Rue de la loi ». Ce qui, pour un Belge moyen, a un sens. C’est la rue du pouvoir : le Roi d’un côté, le Parlement, le Sénat… Tout le pouvoir est là. On a dit aux Européens de venir occuper les terrains disponibles, à savoir ceux du pensionnat du Berlaymont, situés au centre du pouvoir. Et ça, ça a beaucoup joué ».
Les Belges étaient fiers d’avoir été choisis pour accueillir les institutions européennes. Personne n’imaginait à l’époque que les maisons bourgeoises seraient transformées en bureaux. Personne n’a pensé que la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil économique et social demanderaient de l’espace. Personne n’en avait conscience.
Les travaux ne tardent pas, puisque dès 1963 commence la construction du Berlaymont. René Schoonbrodt se souvient : « Je travaillais avec Jean-Luc Dehaene à l’époque, l’ancien premier ministre. A l’heure de midi, on allait faire une promenade autour des travaux avant de rentrer au bureau. On voyait monter ce chantier gigantesque. Sur le plan technique, c’était pas une grande innovation, mais c’était un trou incroyable ».
Petit à petit, les bâtiments administratifs ont remplacé les hôtels de maître. A peine le Berlaymont fût-il édifié qu’on commença à construire le Charlemagne, qu’occupe également la Commission. En 1969, c’est la gare Schuman qui ouvre ses portes. En 1995 est inauguré le bâtiment Justus Lipsius, qui abrite le Conseil de l’Union européenne. Plus récemment, le Service européen pour l’action extérieure a pris place dans un nouveau building, Le Capital.
Le nouveau bâtiment Europa, actuellement en construction
Actuellement, c’est la construction de la « Lanterne », l’Europa, qui touche à sa fin. Ce bâtiment abritera le Conseil européen et le Conseil des Ministres. Les châssis de ce nouveau bâtiment ont été réalisés avec de vieux morceaux de bois récupérés dans les différents pays européens et retravaillés. Sa construction a également entraîné la destruction d’une partie du Résidence Palace. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un seul bâtiment du quartier bourgeois d’antan sur le rond-point Schuman.
Le seul bâtiment du quartier bourgeois qui subsiste sur le rond-point Schuman
Outre une grande pression immobilière et un recul significatif du nombre de logements, la présence des institutions européennes a également engendré des problèmes accrus de circulation et de stationnement, plongeant tout un quartier dans une lente déliquescence.