Lors de notre rencontre avec Henri en 2015, il commençait tout juste à remonter la pente. « Si j’y retourne, je me mets une balle dans la tête direct. L’enfer pour moi, il est derrière. » Sorti le 4 juin 2014, il a passé 21 mois derrière les barreaux, d’abord à la Maison d’Arrêt d’Orléans (France), fermée le 12 octobre 2014 pour insalubrité, puis au centre pénitentiaire de Châteauroux (France).
Ses premiers mots décrivent la petitesse des fenêtres et la froideur des repas. Certains prisonniers se faisaient à manger dans leurs propres cellules pour améliorer leur alimentation, malgré l’interdiction pour risque d’incendie. Henri a travaillé comme cuisinier pendant 8 mois et touchait 200€ par mois. Les règles d’hygiène n’étaient pas respectées et les cuisiniers mangeaient directement dans les plats qu’ils allaient servir.
« La prison on l’a au fond de nous et elle y reste »
Tous les matins à 7h00, les surveillants réveillaient les prisonniers en leur demandant leur matricule. Après le petit-déjeuner, ils allaient en cours ou restaient dans leur cellule jusqu’à midi. Une heure de promenade était possible avant et après le déjeuner. A 17h30 le dîner était servi et les portes des cellules fermaient à 18h00.
Pour passer le temps, Henri écrivait des poèmes, jouait à la PlayStation, faisait un peu de sport et suivait des cours, ce qui lui a permis d’obtenir une licence en droit. Cependant, il restait souvent en cellule, par « peur de se faire latter ».
Henri déclare avec affliction que « la prison on l’a au fond de nous et elle y reste ». Il doit continuellement faire attention à ce qu’il fait, par peur d’y retourner, et ajoute que quelque chose s’est brisé au fond de lui, qui ne pourra jamais être réparé. Depuis sa sortie, il se trouve violent. En détention, la violence physique et psychique était quotidienne : drogues, alcool, contrebande, bakchichs. Un jour, un codétenu s’est suicidé. Un autre jour, Henri s’est fait tabasser devant des surveillants. Il a également failli aller au mitard (ou cellule disciplinaire) pour avoir critiqué la vétusté des locaux.
La réinsertion pire que la prison
Henri blâme beaucoup l’Etat pour le manque d’accompagnement des condamnés et pour les conséquences des peines sur les familles des détenus. Il affirme que la prison a pour but la destruction, pas la réinsertion ; celle-ci devrait être primordiale, de manière à éviter la récidive. Il souhaite que le travail du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) soit renforcé, pour empêcher qu’à leur sortie les condamnés ne se débrouillent seuls, comme ce fut son cas.
La réinsertion fut pour lui pire que la prison. Il avait pour seule aide un suivi médical et une visite au SPIP une fois tous les trois mois. Avec les 500€ qu’il avait pu économiser et des emprunts, il a réussi à ouvrir une boutique de bric-à-brac, qu’il a récemment agrandie.
Pourtant, Henri a l’impression de vivre comme s’il était encore en prison. Il ressent la même solitude. Il rend des comptes à ses collègues, au SPIP, à sa famille, à son avocat. Même son corps lui fait faux bond, avec des problèmes de santé qui s’accumulent. Il conclut, morose et désolé : « la prison détruit. C’est la pire des choses qui puisse arriver à un homme. »
Dans les prisons francophones de Belgique, la colère gronde et ne désenfle pas. Depuis le 25 avril 2016, les agents pénitentiaires font grève en réaction à l’ajustement budgétaire du ministre de la Justice Koen Geens. Les conditions de détention s’en trouvent fortement impactées. C’est dans ce contexte que nous donnons la parole à d’anciens détenus tout au long de la semaine. Ces rencontres ont été réalisées en France entre décembre et juillet 2015, dans le cadre d’un « crédit projet », c’est-à-dire un projet journalistique libre réalisé en fin de cycle de baccalauréat. Elles sont l’occasion d’une réflexion sur l’enfermement et ses séquelles.
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