Août 2017. Une énième foulée puis un dernier effort. Nafissatou Thiam franchit la ligne en 5e position du 800 mètres, mais peu importe. Elle a accumulé assez de points lors des épreuves précédentes. Elle peut lever les bras. Elle l’a fait. La Namuroise est championne du monde d’heptathlon. Un exploit retentissant. La première breloque dorée de l’histoire de la Belgique.
Dans les travées du stade, la délégation et les supporters belges se lèvent comme un seul homme. Certains applaudissent, d’autres se tombent dans les bras. Certains ont même les larmes aux yeux. Un doux sentiment d’euphorie.
Charismatique et travailleuse, Thiam est devenue la nouvelle coqueluche du public. Elle représente notre pays sous toutes ses facettes. Grâce à elle, des millions de Belges ont vibré, trépidé, frémi. Cet exploit, c’est aussi le leur. Un exploit par procuration.
Le héros, une individualité à laquelle on va s’identifier
« Nafi », c’est la figure de proue d’un enthousiasme retrouvé. Si la Belgique est à nouveau sur le devant de la scène en athlétisme, c’est essentiellement grâce à ses performances. Elle est devenue celle à qui les jeunes s’identifient, tout simplement.
Le témoignage de Marc, un père de famille de 42 ans, est particulièrement frappant : « Nafissatou a fait des émules. Dans l’école de mon fils, 22 enfants sur 50 se sont inscrits dans un club d’athlétisme ces deux dernières années en voyant ses performances à la télé. C’est une fille abordable, simple, même avec les enfants. Ils s’identifient à elle, veulent devenir la nouvelle Nafi. »
Mais quels sont les facteurs qui expliquent la création d’héros sportifs ? Pourquoi supporte-t-on un athlète plutôt qu’un autre ? « Les héros ont des caractéristiques qui les rendent exemplaires. Ils ont un certain charisme, un capital sympathie qui leur permet de devenir des modèles. C’est sont des individualités auxquelles on va s’identifier », indique Frédéric Moens, sociologue à l’IHECS.
La simplicité avant tout
Ce sentiment d’identification est d’autant plus saillant quand l’athlète reste simple. Le cas de Nafissatou est particulièrement éloquent à cet égard. Ce qui frappe les observateurs, c’est son humilité : « Thiam, c’est la fille qui a énormément travaillé pour en arriver là mais qui n’a pas pris la grosse tête. On a l’impression que c’est une bonne copine, qui a “juste” des titres olympiques », affirme Julie, une supportrice.
« Ce qui me plait chez elle, c’est sa disponibilité et son sourire », renchérit Thibaut, fan de la Namuroise depuis ses débuts. « Elle est proche de ses supporters et de l’encadrement. Malgré les victoires qui s’accumulent, elle garde la tête sur les épaules. Un exemple de persévérance et d’acharnement pour tout le monde. »
Autre facteur important, selon le sociologue, un héros sportif est une personne qui parvient à fédérer, à inspirer, à créer un enthousiasme autour de lui. Et là encore, Nafissatou coche toutes les cases.
L’identification, un besoin humain dû à des carences
On se pose dès lors une question : pourquoi l’humain a-t-il besoin de s’identifier à des héros ? Selon Frédéric Moens, les héros répondent à des carences humaines : « L’homme s’exoconstruit par ses relations. Il veut tirer une leçon de vie de cette personnalité. Si on s’identifie à quelqu’un, c’est qu’on est en manque de repères. On cherche un modèle, quelqu’un qui donne une ligne directrice à nos actions. »
Alors que nous vivons à une époque et dans une société plutôt instables, les athlètes fournissent des garanties et des repères. Soutenir un athlète, c’est vibrer avec lui. Ce ne sont pas les victoires et le succès qui rendent mirifiques mais la pugnacité. Raymond Poulidor, l’éternel second du Tour de France, peut en témoigner. Les héros ne sont pas toujours les gagnants. À méditer lors de votre prochaine défaite.