Contrairement aux professionnels qui jouissent de certaines facilités de réalisation, les troupes amateurs n’ont pas toujours cette chance. En effet, pour mettre en scène une pièce de théâtre, il ne suffit pas d’avoir de la volonté. L’organisation est d’ailleurs souvent la clé de la réussite. Philippe Moens, membre du comité de la troupe bruxelloise « les Trouvères » fondée en 1949, met actuellement en scène « La Cerisaie » de Tchekhov. Il s’agit d’une comédie qui se déroule en quatre actes et pour laquelle il y aura six représentations au centre communautaire de Joli-Bois. C’est à travers la mise en place de celle-ci que le metteur en scène nous emmène de l’autre côté du miroir.
De l’ingéniosité à tous niveaux
À défaut de moyens financiers importants, il faut faire preuve de débrouillardise. Si les comédiens sont sollicités pour trouver tout le nécessaire à la mise en scène de la pièce, ce n’est pas toujours évident. Surtout s’il s’agit de se procurer des habits qui ne sont pas contemporains. « Je pense que j’ai peut-être vexé ma sœur. J’avais besoin de chaussures vieilles et moches et j’ai été fouillé dans son armoire » raconte avec sourire Barbara Otten, comédienne. Pour ceux qui sont plus réticents à se mettre leur entourage à dos, il existe des greniers à costumes. Ces derniers mettent à disposition un large choix de vêtements et d’accessoires qui pourront être empruntés par les troupes. Une manière d’éviter les costumiers qui sont souvent hors d’atteinte. Une caverne d’Ali Baba qui requiert pour mot de passe la simple adhésion à une troupe amateur.
Afin de se soulager encore d’investissements financiers, c’est généralement le metteur en scène qui se charge de penser aux décors, aux affiches et à la promotion du projet. Même si par la suite, ces tâches seront déléguées à des décorateurs, des graphistes et parfois à des assistants, le luxe des grandes équipes de production n’existe pas.
L’investissement de toute une équipe
Dans la pièce « La Cerisaie », un chœur, des musiciens ainsi que des figurants sont également mis à contribution. Pour ce faire, il faut pouvoir gérer la coordination du jeu des comédiens avec celle d’une musique d’ambiance, parfois omniprésente. « La musique est trop forte, c’est difficile de se concentrer » affirme Odile Remy, présidente de la troupe et comédienne incarnant le rôle de Lioubov Andréevna. Pour pouvoir atteindre un juste milieu, le metteur en scène doit à certains moments revoir ses plans initiaux et s’adapter aux difficultés de réalisation.
À cela, s’ajoute l’organisation des plannings de répétitions. Rien de plus facile, il suffit de tenir compte des disponibilités de chacun. Sur ce projet, ils sont douze comédiens. Cela signifie jongler entre douze vies différentes ! Il faut donc concevoir un horaire précis en découpant les actes et scènes à travailler, de manière réfléchie. Sans compter les imprévus et les indisponibilités de dernière minute. Un planning pointilleux est aussi bien un avantage qu’un inconvénient. En effet, il suffit de l’absence de l’un des comédiens pour que le château de cartes s’effondre. Heureusement, confiance rime souvent avec implication. Le projet sera mené à bien si la bonne volonté de tous et la rigueur restent le ciment de la bonne ambiance générale.
« Il faut jouer votre personnage tout en restant vous-même et en vous demandant : qu’est ce que ça me fait ? »
Philippe Moens, metteur en scène de « La Cerisaie », prône la simplicité, même dans les moments les plus farfelus, en imposant à ses comédiens un réel travail de recherche intérieure. Si incarner un personnage va souvent de pair avec le fait de « devenir quelqu’un d’autre », lui, ne l’entend pas de cette oreille : « il faut jouer votre personnage tout en restant vous-même et en vous demandant : qu’est ce que ça me fait ? ».
Un travail acharné
Pas toujours évident d’incarner des personnages mystérieux ou très éloignés de sa propre personnalité. C’est notamment le cas d’Axelle Fischer, incarnant le rôle de Charlotte Ivanovna. « Je la sens complètement en décalage par rapport aux autres. Elle doit animer le côté festif, mais elle ne fait pas partie du groupe. Elle a peur de la solitude, mais en même temps, elle ne veut pas qu’on l’approche. En plus, elle n’a pas beaucoup de répliques. Du coup c’est difficile de poser le personnage en si peu de temps ».
Il en va de même pour Rohan Van Vooren incarnant Pétia Trofimov « Le personnage a des facettes qui ne sont pas forcément faciles à mettre ensemble. Il est amoureux, loyal, révolutionnaire et anti-riche. Philippe attend de nous des interprétations très marquées et poussées, alors que Trofimov a des couches très différentes et j’ai tendance à le ramener sur un médium qui n’est pas ce qu’on attend ». Même si certains rôles de la pièce semblent être sortis d’une autre dimension, pour la grande majorité, le casting est parfait. Sans s’en rendre compte, certains comédiens ont bien plus en commun avec leur personnage qu’ils ne se l’imaginent.
Il est nécessaire, pour une pièce aussi complexe que celle-ci, de jouer dans la plus grande sincérité. Une telle démarche permettra de susciter de réelles émotions auprès du public et de présenter un spectacle qui ira au-delà des faux-semblants. Un projet ambitieux pour des amateurs qui n’ont parfois pas reçu de formation préalable, mais qui arrivent tout de même à divertir, interpeller et émouvoir.