Ça faisait une dizaine d’années que je n’avais pas mis les pieds dans la médiathèque du Passage 44, et mes souvenirs étaient assez vagues : je me rappelle de cet endroit bondé, sombre et situé dans une galerie du centre-ville. Les samedis dans cet endroit exigu avaient une saveur unique : je fonçais vers mes premiers jeux vidéo sur PC, zigzaguant entre les adultes qui venaient louer leurs films ou leurs albums dans ces rayons remplis de boîtes en plastique. Avec le temps, et un peu comme tout le monde, ma famille a perdu cette habitude. Autant dire que j’ai été surpris par ce que j’y ai retrouvé.
Un vestige très moderne
Le Point Culture, anciennement appelé “Médiathèque”, se situe rue Royale, à deux pas de la station Botanique. Il suffit de franchir le seuil du bâtiment pour se rendre compte de l’incroyable transformation opérée en dix ans. Une agréable odeur se dégage d’un café installé sur la droite, tandis qu’une expo se met en place sur la gauche. Un petit escalier métallique monte vers ce qui m’intéresse : la médiathèque en elle-même.
L’étage s’ouvre sur un espace large et lumineux. Face à moi se trouve une quantité incroyable d’albums en tous genres. Alors que je me dirige naturellement vers le Pop-Rock, mes yeux se baladent vers les rayons Electro ou Chanson française. J’adore les CDs, et l’édition collector de Amnesiac de Radiohead ou le premier album de Ghostpoet m’ont donné envie de prendre un caddie pour tout louer. Je décide de poursuivre mon repérage des lieux.
Je ne vous cache pas que je suis entré dans le Point Culture avec un apriori, celui d’y trouver un vestige de fin de siècle en décalage avec son temps. Une énorme partie de la culture se trouve à portée de main sur le web. Entre le streaming et le piratage, tout le monde s’est habitué au gratuit. J’avais aussi peur d’y trouver une bibliothèque vide, accumulant plus de poussières que de nouveautés.
Pourtant c’est tout le contraire.
L’étage est plus long qu’il n’en a l’air, et derrière l’armoire de jeux vidéo et l’incroyable collection de musique classique, se trouve la partie Cinéma. Je n’ai même pas le temps de regarder la collection de documentaires ou les séries que je suis déjà en train d’explorer leur collection complète des films du Studio Ghibli, une référence de l’animation japonaise. Derrière moi se situent les albums de rap américain et français, le blues et le reggae.
Tous les rayons sont remplis et je ne sais même pas où poser les yeux. Je me sens comme un enfant dans un magasin de bonbons. Au-delà du “best of 2017” présenté dans l’entrée, l’offre très impressionnante peut effrayer au premier regard, surtout face aux noms inconnus qui fleurissent dans toutes les étagères. Je me dirige vers les caisses pour trouver un “guide”, ce repère pour m’aider dans ma recherche. J’y fais la rencontre de Philippe Cantaert.
“Le prêt n’est plus au cœur du projet”
Philippe est le genre d’homme accueillant sans avoir besoin de prononcer un mot, et très vite se créé une bonne connexion. Bien qu’il ne soit pas à la tête du Point Culture, il est dans l’association depuis bien longtemps et a connu l’heure de gloire de la Médiathèque. “L’époque où il y avait huit caisses de sortie”, me précise-t-il. “Ça donne un coup de vieux d’y repenser.” Aujourd’hui, il est seul derrière la caisse et notre discussion est interrompue par l’arrivée ponctuelle de clients.
Je l’interroge alors sur son rôle de conseiller, puisque je me dis qu’un avantage net sur le numérique est justement le côté humain, la recommandation. “C’est très difficile. Avant, on avait un responsable par genre qui pouvait facilement aiguiller”, confie-t-il avec un peu de nostalgie dans la voix. “Aujourd’hui, on est trop peu. Les responsables peuvent toujours conseiller les œuvres intéressantes mais c’est devenu impossible de tout connaître dans cette bibliothèque.” Pourtant, en discutant avec les autres employés, on se rend vite compte que l’équipe est composée de passionnés. Je leur ai demandé une seule recommandation libre et j’ai eu droit à un florilège de pépites, présentées avec des constellations d’étoiles dans leurs yeux.
Avant même que l’on arrive au cœur de mon questionnement sur la survie des médiathèques, je saisis des éléments de réponse. Le Point Culture n’est pas qu’une médiathèque. Philippe s’occupe de la chaîne Youtube, par exemple. Une régie est installée pour permettre de produire des contenus vidéo régulièrement. Comme il me l’explique, “la location n’est plus l’activité principale de la médiathèque. Personne ne sait combien de temps ça va encore durer, mais je pense que dans dix ans, la location aura complètement disparu.”
La Médiathèque devient le Point Culture
J’y retourne le lendemain pour rencontrer Jean-Grégoire Muller, le responsable du Point Culture de Bruxelles. Très vite, la discussion s’oriente sur la métamorphose de la médiathèque. Il m’explique que les “prêts physiques” ont commencé à diminuer dès le début des années 2000, avec l’émergence du partage de masse sur le web.
Face à la perte de clientèle, les responsables ont complètement repensé l’organisation. La vraie transition s’est opérée en 2012 avec un changement de nom, un déménagement et de nouveaux objectifs : la Médiathèque est devenue un centre culturel. Le réseau incroyable dont elle disposait a servi de base au nouveau public du Point Culture. En effectuant une bonne transition, les autorités voulaient conserver ce public pour ce nouveau projet. “La force de frappe du réseau de la médiathèque au service de la culture”, argumente Jean-Grégoire Muller.
L’objectif est de mettre en avant des projets culturels dans un sens plus large. Par exemple, le mois de février porte sur le numérique. Une série de conférences, d’intervenants ou de diffusion de documentaires est également organisée pour discuter autour de ce thème. Tous ces évènements rencontrent un certain succès : en 2016, le nombre de visiteurs pour des évènements a dépassé le nombre de clients de la médiathèque.