Le jeudi 30 octobre, les étudiants des universités francophones de médecine et dentisterie ont fait grève et à nouveau manifesté dans les rues de Bruxelles. Dans les quartiers voisins d’hôpitaux de la capitale, de nombreux étudiants de l’ULB et de l’UCL ont interpellé les passants sur leur situation surréaliste. Pour pratiquer la médecine curative ou la dentisterie, il faut disposer d’un numéro INAMI à la sortie de ses études. Malheureusement, le quota de distribution de ce dernier est épuisé en Belgique francophone. Les nouveaux médecins se retrouveront donc bientôt avec un diplôme mais dans l’impossibilité d’exercer. Tout commence en 1997, lorsque l’Etat belge décide de modérer le nombre de professionnels de la santé en délivrant un nombre limité de numéros INAMI. C’est ce numéro qui permet aux patients de se faire rembourser leurs soins. Ce « numerus clausus » des diplômés est une mesure appliquée par l’Etat pour limiter le nombre de médecins en Belgique. Laissant pour autant aux communautés le soin de limiter l’accès aux études de leurs étudiants (via le numerus clausus, bien connu celui-là, de première année). Or voilà, en 2008 le numerus clausus de première année, qui est d’application dans la majeure partie des pays d’Europe, est supprimé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. N’importe quel élève de la communauté francophone se voit donc autoriser l’accès aux études de médecine. Si les inconvénients ne se faisaient pas immédiatement ressentir, les conséquences restaient parfaitement prévisibles : en supprimant le filtre d’entrée, alors que le filtre de sortie (INAMI) était toujours d’application, la Fédération Wallonie-Bruxelles courait le risque de décevoir quantité d’étudiants, qui après leurs sept années d’études se verraient interdire le droit de pratiquer. C’est ce qui a amené, aujourd’hui, les étudiants de l’ULB, UCL et ULg à manifester dans les rues de Bruxelles ce jeudi 30 octobre. Ce qu’ils réclament ; davantage de numéro INAMI bien sûr, mais surtout de réaliser un encadrement précis du nombre de médecins.
Manifestations non-soutenues par les syndicats
L’Association Belge des Syndicats Médicaux (ABSyM) a déclaré, dans un communiqué de presse, ne pas cautionner la manifestation des étudiants. Une décision décevante selon ces derniers qui ne comprennent pas la position de l’ABSyM. Melissa Vota, étudiante de 25 ans en septième année, s’indigne : « le syndicat des médecins invoque que limiter le nombre de médecins permet de limiter les dépenses de l’Etat en frais de soins de santé. C’est vrai, mais tout dépend où l’on [l’Etat] souhaite mettre les priorités. De plus, l’ABSyM répète qu’il n’y a pas de pénurie de médecins, ce qui nous semble aberrant, on entend partout autour de nous qu’il y a un manque de médecins. » Contacté par notre rédaction, Patrick Desmet, porte-parole du syndicat des médecins, a voulu modérer ces propos : « Il n’y a pas une pénurie de médecins, du moins pas dans toutes les spécialités. Nous avons par exemple suffisamment de médecins généralistes. En Belgique, il y a en moyenne un médecin généraliste pour 1250 habitants. En comparaison les Pays-Bas n’en ont qu’un pour 2500. Par contre, il existe effectivement des pénuries dans les spécialisations « boudées », comme la gastro-entérologie ou des domaines similaires qui ne plaisent pas à beaucoup de médecins. » Notons que les chiffres sont sujets à contradictions. En effet, le site « statistique-mondiale.com » recense aux Pays-Bas trois médecins pour mille habitants (soit 7.5 pour 2500, chiffres de 2011) alors qu’en Belgique ils seraient 2.9 pour mille (soit 7.25 pour 2500, chiffres de 2012).
Un cadastre national
C’est en raison justement, d’un flou dans les chiffres, que le corps estudiantin réclame un cadastre. L’intérêt est de faire un réel état des lieux du nombre de médecins et dentistes belges possédant un INAMI, par spécialités, ainsi que leur répartition en Belgique et à l’étranger. David Desmet, porte-parole de l’ABSyM, ajoute : « ça fait 20 ans que, nous aussi, réclamons un cadastre, car nous savons que s’il y a des pénuries, c’est dans les villages. Là oui, on peut parler de pénurie, mais c’est l’inverse qui se produit en ville où certains médecins se tournent déjà les pouces. Il y a une très mauvaise répartition géographique des médecins, pas de pénurie générale. » Les manifestants rejettent malgré tout le constat du syndicat, « cela fait des années que le monde politique savait que ça allait arriver mais personne n’a jamais voulu faire quoi que ce soit » ajoute Roxane Vital, médecin PG (1ère année) en chirurgie et affectée aux urgences du CHU de Bruxelles. Les étudiants eux-mêmes n’étaient pas au courant que des distributions supplémentaires de numéros INAMI (pris sur ceux de l’année suivante) étaient effectuées pour permettre à tous les diplômés d’exercer. Une action qui n’a fait qu’accélérer l’échéance.
La politique de lissage, une bombe à retardement
Les universités francophones de médecine, ne prenant pas de mesures de restrictions à l’entrée des études, ont dû appliquer une politique de lissage, en piochant des numéros à l’avance sur les générations suivantes. « Vous voulez savoir pourquoi les universités ont arrêté de faire leur système de lissage maintenant ? » questionne Melissa, « parce qu’il y a un nouveau gouvernement ! Et qu’elles ont estimé que c’était le bon moment pour faire pression, en nous instrumentalisant afin que nous fassions bouger les choses, comme elles n’ont pas pu le faire pendant 10 ans. » Ces témoignages laissent transparaître une exaspération générale. Exaspération qui n’est pas partagée du côté flamand où les numerus clausus, restés d’application, maintiennent le nombre de diplômés en médecine à un certain seuil, proche de celui du nombre d’INAMI disponibles. Patrick Desmet ajoute par ailleurs ; « il y a une discordance nord/sud dans l’accès aux études de médecine. Alors que l’INAMI est donné par le fédéral, la mise en place de tests d’entrée à quota est une compétence communautaire. Les francophones ont mis fin au numerus clausus en 2008 alors qu’ils faisaient déjà du lissage. C’est la faute à la politique francophone ». Cependant, certaines voix au sein du corps estudiantin pointent du doigt l’association syndicale. Pour eux, c’est une majorité de médecins pratiquant dans le privé qui siège à la tête de l’ABSyM. S’ils ne soutiennent pas les étudiants dans ces manifestations, c’est uniquement pour protéger leurs intérêts. Moins de médecins sur le marché leur garantit plus de consultations.