« En fait, il n’y avait pas de notion de temps ! On a vu les terroristes apparaître et on n’a rien pu faire. On avait le choix : hurler qu’il y avait un homme armé ou faire sortir tous ceux qu’on pouvait par l’arrière. Des coups de feu ont éclaté. C’était tellement fort que ça a couvert la musique. J’ai dû enjamber des corps mais je n’ai pas eu le courage de les regarder. La seule solution, c’était de fuir par la porte arrière. Je ne pense pas que je pourrai retourner à ma vie d’avant, j’aurai toujours une boule au ventre en allant travailler pour des concerts ou en marchant le soir dans les rues de Paris. J’aimerais bien m’évader un peu de ça, essayer d’arrêter d’y penser mais tout le monde en parle tout le temps. C’est à la Une de tous les médias jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose de plus grave. On ne peut pas faire un pas sans que ça nous saute à la figure. »
Le témoignage d’un membre de l’équipe du Bataclan lors des attentats de Paris, vendredi 13 novembre, montre la peur dans laquelle a pu être plongée chaque personne présente sur les lieux ce soir-là. Pour Patricia Volvert, psychologue présidente de l’association des praticiens TIPI (Technique d’identification sensorielle des peurs inconscientes), l’état dans lequel peuvent se trouver les témoins est qualifié de stress post-traumatique. « C’est un choc lié à un événement sur lequel on n’a pas de contrôle. Ce stress s’estompe avec le temps, dit-elle. La peur peut aussi se réguler. Pour en finir avec elle, il ne s’agit pas de faire revivre les attentats aux blessés ou aux familles des défunts mais de les faire passer par les moments de vie qui les angoissent pour savoir où la peur commence. »
La peur d’un proche
Cette angoisse touche à grande échelle. Elle a atteint tous ceux ayant un proche à Paris. Karin Vansteen raconte la peur qu’elle a ressentie.
« Mon fils vit à Paris depuis bientôt trois mois. Ce vendredi soir, nous avons reçu un message sur notre téléphone de sa part vers 22h30 en nous disant qu’il entendait des coups de feu ! Il était dans un appartement chez des amis dans le quartier Voltaire. À ce moment-là, il ne se doutait pas du tout qu’il s’agissait d’attentats. J’ai immédiatement allumé la télévision et j’ai regardé la prolongation du 12 minutes. J’avais très peur pour mon fils, même si je savais qu’il était en sécurité, à l’intérieur quelque part et non pas dans la rue. Nous sommes restés en contact pendant une grande partie de la soirée. Il m’expliquait que son dîner s’était déroulé en drame car la petite sœur de l’hôte se trouvait dans le Bataclan et était injoignable jusqu’à 2 heures. Vers 3 heures du matin, il a repris sa voiture et est rentré chez lui. Tout le week-end, nous sommes restés connectés. »
Selon Patricia Volvert, « la vision en direct des événements maintient le stress. N’ayant pas d’informations précises de la part de son fils, cette maman est allée les chercher à travers les médias. En temps réel, on n’a aucun recul sur les choses, l’esprit critique et rationnel cède sous ces images à sensations. L’imagination prend le dessus à cause du manque de repères précis. »
Par les médias, beaucoup ont été atteints par cette peur : la peur de se dire qu’on aurait pu être à la place des victimes et l’angoisse ressentie face aux images diffusées dans les médias et sur les réseaux sociaux. Laetitia a été particulièrement touchée par ce qu’elle a vu au journal télévisé.
La peur derrière son écran
« J’ai regardé le 12 minutes vendredi soir et j’ai eu peur. J’ai regardé le journal de 13 h, samedi midi, et j’ai vraiment eu peur. L’image de cette femme enceinte, les pieds dans le vide, m’a secouée. Toutes les images me font me sentir dans l’insécurité. Les médias véhiculent cette image de peur. Si j’ai peur, c’est par tout ce que j’ai pu voir aux infos et sur le Net. »
François De Smet, journaliste et philosophe, explique que la peur se reflète et se communique non seulement par les médias mais également via les réseaux sociaux. « Ecouter les “experts” à travers les écrans est quelque chose qui permet à certains de se sentir moins seuls. Grâce aux médias et aux réseaux sociaux, on est capable de “suivre en live” les événements depuis vendredi soir. Pourtant, ceci n’est pas toujours une bonne chose car on est le nez dans le plat, et le fait de tout suivre en live ne nous permet pas de prendre du recul. […] C’est le mode de vie occidental qui a été visé dans ses formes les plus quotidiennes : les terrasses d’un café, le stade de France, etc. La peur est ainsi amplifiée, car tout le monde peut se mettre à la place des gens qui ont été tués à l’aveugle en se disant “Ça aurait pu être moi”. C’est cette peur-là que les terroristes veulent qu’on ressente. »
La diffusion d’images chocs et de titres d’articles belliqueux et horrifiants sur la plupart des sites d’informations anime ce climat actuel de peur. La peur liée à ces événements a dépassé les frontières. Les médias du monde entier ont tweeté et publié sans relâche, minute par minute. Parfois sans beaucoup d’informations supplémentaires.
« La seule chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même » Franklin Delano Roosevelt
A travers les réseaux sociaux ou au café du coin, la peur est bel et bien présente. Pour François De Smet, le phénomène est synonyme d’un besoin de rencontre de la part de la population. En France, la plus grande manifestation de l’après-guerre a eu lieu samedi 14 novembre pour rendre hommage aux victimes et a réuni plus d’une vingtaine de nationalités différentes malgré l’état d’urgence interdisant les rassemblements. « La première phase est la sidération face à un tel événement. Par la suite, on a besoin de verbaliser ce qui s’est passé, de nommer les choses, de nommer les assassins tout en refusant les amalgames afin de ne pas laisser les terroristes guider notre manière de penser. »
Une semaine après les attentats de Paris, la peur la plus présente est celle d’être au mauvais endroit au mauvais moment, d’être victime d’une attaque. À cela, François De Smet recommande de répondre par le courage : « Être courageux, c’est accepter de gérer sa peur, de l’utiliser à bon escient et d’aller de l’avant car ce n’est pas le moment de perdre les pédales. »