Mardi 22 mars. Attentats à Bruxelles. L’impression qu’un monde s’écroule. Assise dans mon canapé, face à ces images horribles à la télé, je ne réalise pas que ça se passe dans ma ville, à quelques kilomètres de mon kot. L’après-midi, gavée d’images et de médias, je décide d’aller voir ce qu’il se passe à la Bourse. Pour voir des gens, des vrais et pas uniquement les infos à travers mon écran. A ce moment là, l’atmosphère y est calme, respectueuse. Quelques personnes sont présentes pour se recueillir, ensemble. Certains écrivent sur le sol, des mots de paix à la craie. D’autres les regardent avec un sourire inquiet. Un groupe de filles distribue des bonbons. Quelques bougies et fleurs sont déposées timidement devant la Bourse. L’émotion est palpable.
Plus tard dans la soirée, j’ai besoin d’y retourner. Besoin d’être là, besoin de réaliser. Les journalistes ont brutalement fait leur apparition. Je discute avec un inconnu jusqu’à ce qu’un journaliste parisien nous interrompe pour lui poser quelques questions… oppressantes. “Et quoi tu y étais toi aux attentats? Et des personnes que tu connais ? Non t’es sûr hein ?” J’en ai la nausée. Pourquoi doit-il autant insister alors qu’il a déjà répondu “non” ? Il a presque l’air déçu que le jeune homme n’ait pas perdu quelqu’un de proche dans les attaques…
Plus tard, je discute quelques instants avec une photojournaliste. Elle semble forte. Elle fonctionne telle une machine, sans vraiment s’attarder sur ce qu’il se passe autour de nous. Suis-je prête à faire ça un jour ? Il est 22h place de la Bourse, il y a de plus en plus de fleurs et de bougies.
Mercredi 23 mars, le lendemain de l’horreur. Je tiens à aller déposer une rose blanche et allumer une bougie. Je suis là, en silence. Toutes mes pensées vont aux victimes. Les gens sont présents en masse. Certains dans le calme et le respect, d’autres avec des selfiestick… Je suis vite happée par l’environnement médiatique qui m’entoure. Des journalistes en quête de sensationnalisme. L’un d’eux tourne autour de moi avec son cameraman. Ils se font des signes en me montrant. Je n’ai pas envie de leur parler. Je ne suis pas là pour ça. J’ai le sentiment qu’ils cherchent tous celui qui pleurera le plus, aura la plus grosse bougie ou chantera le plus fort. Autour d’eux, beaucoup de “témoins”, en quête de leur moment de gloire, mais qui, en fin de compte, n’ont pas toujours grand-chose à dire. Pourtant, les journalistes restent là et continuent leur spectacularisation de cette affluence Place de la Bourse.
Les jours suivants, je fais un détour pour ne plus y passer. Fatiguée de cette effervescence presque malsaine. Je suis peut-être naïve, mais à mes yeux, ce n’est pas ça le journalisme. Dans environ deux ans, je serai diplômée à mon tour. Je ne veux pas oublier le côté humain. Je ne veux pas “harceler” les gens de questions stupides. Je ne veux pas tomber dans le sensationnalisme. Je ne veux pas faire semblant…
Quinze jours plus tard, je n’ai rien oublié. Il me faudra du temps, il nous faudra du temps. J’ai surtout décidé de prendre du recul par rapport aux médias. Pour profiter de ma famille, mes amis. Ces personnes avec qui je passe des moments vrais et sincères. Bien sûr, je continue à me poser un tas de questions. Avant le 22 mars, j’étais certaine que j’allais devenir journaliste. Aujourd’hui, je remets mes choix en question. Je veux continuer à croire en mon avenir tel que je l’ai toujours imaginé. Je ne deviendrai sans doute pas reporter. Mais une chose est sûre, je ne transformerai pas la réalité pour en faire un “produit médiatique”.
Marie Lardinois
(étudiante de BAC3)
Superbe article! Bravo.
Bonjour,
je voulais juste vous dire qu’il ne faut pas abandonner vos rêves. De plus il ne faut des journalistes sincères et qui ne sont pas en quête de sensationnel. J’espère pouvoir vous lire dans quelques années. Courage et rester sincère dans vos pensées la vie de tous sera ainsi plus belle.
Dommage que ça puisse remettre en question une vocation… C’est hélas le lot des “grands médias”. Comme l’illustre à merveille le slogan de RTL : Vos émotions en grand. On veut pas du recul, de l’analyse, on veut de l’émotion, du story telling. C’est à celui qui trouvera l’histoire qui fera le plus pleurer dans les chaumières. Après une autre forme de journalisme existe encore… Mais plutôt hors des grands médias.
Je vais en rajouter une couche avec le célèbre journaliste John Swinton qui se fâche quand on propose de boire un toast à la liberté de la presse :
“Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! ” 1880