Face à l’absence de garantie des droits des migrants, les députés européens réagissent. Le 2 décembre 2015, une résolution a été votée par le Parlement européen afin que Frontex, l’agence européenne pour la gestion des frontières, instaure un mécanisme permettant aux migrants de porter plainte lorsque les gardes-frontières portent atteinte à leurs droits fondamentaux.
L’initiative ne date pas d’hier. En 2012, la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a lancé une enquête sur le déroulement des opérations Frontex. L’une des ses recommandations, rejetée par Frontex, était d’instaurer un tel système. Après trois ans, la Médiatrice compte sur le soutien du Parlement européen pour faire passer cet accord auprès de la Commission.
Une mission première sécuritaire
En 2005, Frontex est devenue opérationnelle. Bien que l’agence ait été créée par le Conseil de l’Union européenne, elle est juridiquement autonome, ce qui rend son contrôle difficile. Frontex est d’ailleurs critiquée depuis ses débuts, accusée de garder les frontières au détriment des droits de l’homme. Mais comment garantir l’équilibre entre la sécurité des frontières et les droits fondamentaux ?
Frontex ne semble pas vouloir répondre à la question et reste très réticente quant au projet de la Médiatrice européenne. Claire Hugon, conseillère politique pour le groupe des Verts européens, le rappelle. « C’est une agence qui doit surveiller les frontières, qui organise aussi des opérations de retour vers les pays d’origine et donc, à ce titre, ce n’est pas possible de pouvoir penser que c’est également une agence qui veille au bien-être des migrants, ça non ! »
Mais c’est surtout en matière de transparence dans les opérations menées que Frontex doit être mieux contrôlée. Cécile Vanderstappen, chargée des programmes Afrique et du dossier Migrations et Développement au sein du Centre national de coopération au développement (CNCD) le confirme. « Lorsque nous demandons les plans opérationnels de Frontex, ils nous les envoient mais, il y a plein d’infos qui sont vraiment cryptées, qui sont barrées alors que normalement, en tant que citoyens, on a un droit d’accès aux documents officiels qui sont eux-mêmes européens. »
Frontex face à ses responsabilités
Lorsqu’il s’agit d’assurer leurs devoirs, Frontex et les Etats membres se renvoient mutuellement la balle. Pour Frontex, les interventions se passent dans les Etats membres. C’est à eux d’agir. Les Etats membres se retranchent, eux, derrière l’autonomie juridique de Frontex.
Actuellement, il est toujours possible pour les migrants d’introduire une plainte dans les Etats membres qui participent aux opérations, mais cela demande des moyens financiers et logistiques qui ne sont pas à leur disposition la plupart du temps.
Si la résolution du Parlement fait bouger la Comission, la situation des migrants aux frontières pourrait réellement être améliorée. Pour Claire Hugon, cela ne suffit pas. « Cela devrait également s’accompagner d’une campagne d’information, le droit à déposer cette plainte dans les langues qui sont susceptibles d’être comprises par les migrants, non uniquement en anglais. Evidemment, des dispositifs d’accompagnement devraient être mis en place. » Selon le droit européen et international, une personne doit être informée de ses droits. Dans les faits, ce n’est pas le cas. Reste à savoir si Frontex est prête à intégrer ces mesures.
Une cellule de plaintes au sein même de Frontex
L’instance prévue dans la résolution serait interne à Frontex. Pourquoi ne pas prévoir un organe indépendant ? Le groupe de la gauche unitaire ou encore la campagne Frontexit, à laquelle a participé le CNCD, ont milité pour externaliser le traitement des plaintes. Pour Cécile Vanderstappen, mettre en place une cellule interne permet surtout de protéger la légitimité de l’agence.
Le CNCD est beaucoup plus pessimiste quant à l’éventuelle adoption de la résolution. « Cette résolution n’apporte pas vraiment quelque chose en plus. On a l’impression que c’est plus du bluff, mais ça ne va rien changer dans la situation de Frontex », explique Cécile Vanderstappen.
La logique sécuritaire au détriment des droits fondamentaux
« Je pense que la façon dont les frontières extérieures sont protégées pour l’instant est contraire aux droits fondamentaux parce que ça empêche les gens d’exercer sans risques leur droit à une demande d’asile conformément à la convention de Genève. » Pour Claire Hugon, ce droit implique qu’ils puissent voyager en sécurité jusqu’au lieu de demande d’asile. « A ce titre, à nouveau, Frontex est une agence qui est le bras armé des politiques migratoires européennes, qui sont des politiques sécuritaires et de refoulement. »
Cécile Vanderstappen rappelle que le premier objectif de la campagne Frontexit était d’annuler le mandat de Frontex : « L’essence même de Frontex est incompatible avec le respect des droits de l’homme. La philosophie et les intentions dans la mise en œuvre de Frontex suivent cette approche totalement sécuritaire. » Malgré la pression menée par Frontexit et les recommandations de la médiatrice européenne Emily O’Reilly, la réponse dominante face au problème Frontex est toujours plus de Frontex.
Il est difficile de faire des prévisions en ce qui concerne la mise en place d’un système permettant aux migrants de porter plainte contre les garde-frontières Frontex. Toutefois, la Commission doit revoir le règlement Frontex dans les prochaines semaines. Espérons que l’appel des eurodéputés ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.
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