Juliette Boulet, porte-parole francophone et chargée de mission pour Greenpeace, se trouve actuellement à Paris pour participer à la COP21. Chaque année, les participants se réunissent pour décider des mesures à mettre en place, dans le but de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés. Pour le BBB, elle a accepté de dévoiler les coulisses de la conférence de Paris.
Comment se déroulent les premiers moments de la COP21 ?
La COP21 a commencé en début d’année par des pré-négociations importantes à Bonn, en Allemagne. Sur la base d’un texte de 54 pages établi lors de la dernière ADP (Ad Hoc Working Group on the Durban Platform), les négociations ont pu démarrer à Paris. Lors de cette conférence, les délégations de chaque pays, composées de chefs, d’ambassadeurs et de diplomates, se réunissent pour parvenir à un accord sur le climat et ainsi, établir le « protocole de Paris ».
La COP 21 est divisée en deux semaines : lors de la première, se déroulent des discussions entre les délégations ; lors de la deuxième, les diplomates des délégations seront remplacés par les ministres du Climat de chaque pays.
Qui est présent lors de ces négociations ?
Ce sont les partis qui sont assis à la table des négociations, d’où le nom COP21 (21th Conference of parties), c’est-à-dire les États membres de l’ONU.
Dans les principes démocratiques de l’ONU, on organise une consultation assez large de la société civile lors des conférences internationales. Des ONG, des associations, des entreprises, des universités, etc. sont présentes sous l’appellation d’« observateurs ». Nous avons donc, d’une part, toutes les délégations et, d’autre part, les observateurs comme Greenpeace. Ils ne peuvent pas négocier, ni prendre la parole, mais peuvent essayer de convaincre les délégations à la sortie des réunions, lors de leur pause « sandwich ». Ils peuvent proposer des stratégies de communication et de contre-communication. Ils ont quand même un pouvoir, même s’ils ne négocient pas directement.
Comment les décisions sont-elles prises ?
Les décisions sont très lentes et se font au fur et à mesure. Deux sortes de réunions coexistent. D’un côté, nous avons les spin-off groups, des groupes de négociations auxquels participent les membres des délégations. Ces membres analysent de fond en comble un ou plusieurs articles définis au préalable lors d’une séance plénière. En général, on leur demande de réduire le texte de 54 pages – souvent trop long – et donc de faire des choix. Mais ce n’est pas toujours le cas car, souvent, il faut opérer des choix politiques et donc les délégations préfèrent laisser la place aux ministres de l’Environnement. Ces réunions se déroulent à huis clos.
D’un autre côté, nous avons les « open ended groups ». Ces réunions se déroulent plutôt ouvertement, sous forme de conférences de presse, et de manière plus informelle. Elles ne sont pas focalisées sur un article, mais sur des principes généraux. Tout le monde peut parler, il n’y pas de temps imparti. Des coprésidents sont présents pour modérer les débats et des rapporteurs font le compte-rendu de la journée.
Quels sont les pays qui pourraient favoriser un accord ambitieux d’après vous ?
Les pays du G77. Ils représentent une majorité, 134 pays sur 195. Ils ont d’ailleurs fait des annonces fortes : l’Inde a communiqué qu’elle partait dans une coalition de 120 pays pour investir dans l’énergie solaire. Le continent africain a porté d’une seule voix le même message « nous allons investir massivement dans les énergies renouvelables ». Ça intéresse les investisseurs et donc les entreprises ont l’occasion de faire pression sur les États. Les lobbys existent aussi pour l’environnement et peuvent pousser dans le bon sens. Les États-Unis ont également une influence très forte, même si elle pourrait être néfaste. Ils ont dit qu’ils allaient investir des millions de dollars dans la recherche pour les énergies renouvelables. La Chine a décidé la même chose, elle a investi en 2014 100 milliards de dollars dans ce domaine. L’accord de Paris ne sera normalement pas contraignant, mais peut-être qu’il fixera malgré tout des grands objectifs et que les États les suivront.
Par contre, d’autres pays peuvent au contraire ne pas favoriser l’accord, comme la Russie et essentiellement les pays producteurs de pétrole.
La Belgique a reçu le prix fossile, a-t-elle toujours autant de crédibilité à la table des négociations ?
Elle s’est ridiculisée totalement ! Quand tous les chefs de gouvernement et caméras du monde étaient là. Cela a contribué à une mauvaise image de la Belgique. A l’évidence, notre pays ne fait pas beaucoup d’efforts. Le jour où Charles Michel est venu s’exprimer à la conférence, quelques heures plus tôt, il venait de signer la prolongation des vieilles centrales nucléaires du pays. Comme les énergies nucléaires occupent beaucoup de place dans la production de l’électricité en Belgique, il n’y a plus de place pour développer les énergies renouvelables. Donc, si on a trop d’électricité, on ne s’implique plus dans l’éolien et les investisseurs n’apprécient pas cela.
De plus, nos représentants viennent ici pour négocier un accord international pour 2050 alors qu’ils n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord depuis six ans pour des objectifs de 2020. Par ailleurs, la délégation belge a été mal à l’aise : elle réalise du bon travail et les ministres font tout le contraire ! Ça détruit un peu leur image au niveau international.
Sommes-nous dans la bonne voie ?
C’est difficile à dire, car la conférence s’est ouverte sur des messages assez forts de la part des chefs d’État. Quand il s’agissait de prendre la parole devant les caméras, ils étaient enthousiastes et, lors des négociations, ils ne le sont plus autant, ils se referment. Mais rien n’est encore joué. C’est la semaine prochaine, aux alentours du 13 et 14 décembre, que tout se décidera. Ce sont les ministres qui prennent les décisions. Un enjeu stratégique est encore à venir.
Les États les plus touchés par le réchauffement climatique sont réunis dans plusieurs groupes comme le G77, lequel compte 134 pays (surtout des pays pauvres). Ils disent que, s’il n’y a pas de financement pour les aider à lutter contre le réchauffement climatique, ils ne signeront pas. Il y aura donc des tensions à certains moments.
Propos recueillis par M. Meunier et M. Salmain